Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/258

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qui soit un peu dífficile et qui demande quelque peu d’application.

Il faut conclure de là que toutes les sciences, et principalement celles qui renferment des questions très-difficiles à éclaircir, sont remplies d’un nombre infini d’erreurs, et que nous devons avoir pour suspects tous ces gros volumes que l’on compose tous les jours sur la médecine, sur la physique, sur la morale, et principalement sur des questions particulières de ces sciences, qui sont beaucoup plus composées que les générales. On doit même juger que ces livres sont d’autant plus méprisables qu’ils sont mieux reçus du commun des hommes ; j’entends de ceux qui sont peu capables d’application, et qui ne savent pas faire usage de leur esprit ; parce que l’applaudissement du peuple à quelque opinion sur une matière difficile est une marque infaillible qu’elle est fausse et qu’elle n’est appuyée que sur les notions trompeuses des sens ou sur quelques fausses lueurs de l’imagination.

Néanmoins il n’est pas impossible qu’un homme seul puisse découvrir un très-grand nombre de vérités cachées aux siècles passés, supposé que cette personne ne manque pas d’esprit, et qu’étant dans la solitude, éloigné autant qu’il se peut de tout ce qui pourrait le distraire, il s’applique sérieusement à la recherche de la vérité. C’est pourquoi ceux-là sont peu raisonnables, qui méprisent la philosophie de M. Descartes sans la savoir, et par cette unique raison, qu’il paraît comme impossible qu’un homme seul ait trouvé la vérité dans des choses aussi cachées que sont celles de la nature. Mais s’ils savaient la manière dont ce philosophe a vécu, les moyens dont il s’est servi dans ses études pour empêcher que la capacité de son esprit ne fût partagée par d’autres objets que ceux dont il voulait découvrir la vérité, la netteté des idées sur lesquelles il a établi sa philosophie, et généralement tous les avantages qu’il a eus sur les anciens par les nouvelles découvertes, ils en recevraient sans doute un préjugé plus fort et plus raisonnable que celui de l’antiquité, qui autorise Aristote, Platon et plusieurs autres.

Cependant je ne leur conseillerais pas de s’arrêter à ce préjugé, et de croire que M. Descartes est un grand homme, et que sa philosophie est bonne à cause des choses avantageuses que l’on en peut dire. M. Descartes était homme comme les autres, sujet à l’erreur et à l’illusion comme les autres ; il n’y aucun de ses ouvrages, sans même excepter sa géométrie, où il n’y ait quelque marque de la faiblesse de l’esprit humain. Il ne faut donc point le croire sur sa parole, mais le lire, comme il nous en avertit lui-même, avec précaution, en examinant s’il ne s’est point trompé, et ne croyant rien de ce qu’il dit que ce que l’évidence et les reproches secrets