Pour la bien comprendre, il faut savoir qu’il y a une différence fort considérable entre l’impression ou le mouvement que l’auteur de la nature produit dans la matière, et l’impression ou le mouvement vers le bien en général, que le même auteur de la nature imprime sans cesse dans l’esprit. Car la matière est toute sans action ; elle n’a aucune force pour arrêter son mouvement, ni pour le déterminer et le détourner d’un côté plutôt que d’un autre. Son mouvement, comme l’on vient de dire, se fait toujours en ligne droite, et lorsqu’il est empêché de se continuer en cette manière, il décrit une ligne circulaire la plus grande qu’il est possible, et par conséquent la plus approchante de la ligne droite, parce que c’est Dieu qui lui imprime son mouvement, et qui règle sa détermination. Mais il n’en est pas de même de la volonté[1] ; on peut dire en un sens qu’elle est agissante et qu’elle a en elle-même la force de déterminer diversement l’inclination ou l’impression que Dieu lui donne ; car quoiqu’elle ne puisse pas arrêter cette impression, elle peut en un sens la détourner du côté qu’il lui plaît, et causer ainsi tout le déréglement qui se rencontre dans ses inclinations, et toutes les misères qui sont des suites nécessaires et certaines du péché.
De sorte que par ce mot de volonté, je prétends ici désigner l’impression ou le mouvement naturel, qui nous porte vers le bien indéterminé et en général ; et par celui de liberté, je n’entends autre chose que la force qu’a l’esprit de détourner cette impression vers les objets qui nous plaisent, et faire ainsi que nos inclinations naturelles soient terminées à quelque objet particulier, lesquelles étaient auparavant vagues et indéterminées vers le bien en général ou universel, c’est-à-dire vers Dieu qui est seul le bien général, parce qu’il est le seul qui renferme en soi tous les biens.
D’où il est facile de reconnaître que, quoique les inclinations naturelles soient volontaires, elles ne sont toutefois pas libres de la liberté d’indifférence dont je parle, qui renferme la puissance de vouloir ou de ne pas vouloir, ou bien de vouloir le contraire de ce à quoi nos inclinations naturelles nous portent. Car quoique ce soit volontairement et librement que l’on aime le bien en général, puisqu’on ne peut aimer que par sa volonté et qu’il y a contradiction que la volonté puisse jamais être contrainte, on ne l’aime pourtant pas librement, dans le sens que je viens d’expliquer, puisqu’il n’est pas au pouvoir de notre volonté de ne pas souhaiter d’être heureux.
Mais il faut bien remarquer que l’esprit, considéré comme poussé
- ↑ Voy. les Éclaircissements.