Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/275

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très-présent à l’esprit. Ainsi, l’esprit peut voir en Dieu les ouvrages de Dieu, supposé que Dieu veuille bien lui découvrir ce qu’il y a dans lui qui les représente. Or, voici les raisons qui semblent prouver qu’il le veut plutôt que de créer un nombre infini d’idées dans chaque esprít.

Non-seulement il est très-conforme à la raison, mais encore il parait par l’économie de toute la nature, que Dieu ne fait jamais par des voies très-difficiles ce qui se peut faire par des voies très-simples et très-faciles ; car Dieu ne fait rien inutilement et sans raison. Ce qui marque sa sagesse et sa puissance n’est pas de faire de petites choses par de grands moyens ; cela est contre la raison et marque une intelligence bornée. Mais au contraire, c’est de faire de grandes choses par des moyens très-simples et très-faciles. C’est ainsi qu’avec l’étendue toute seule il produit tout ce que nous voyons d’admirable dans la nature et même ce qui-donne la vie et le mouvement aux animaux ; car ceux qui veulent absolument des formes substantielles, des facultés et des âmes dans les animaux, différentes de leur sang et des organes de leurs corps pour faire toutes leurs fonctions, veulent en même temps que Dieu manque d’intelligence ou qu’il ne puisse pas faire ces choses admirables avec l’étendue toute seule. Ils mesurent la puissance de Dieu et sa souveraine sagesse par la petitesse de leur esprit. Puis donc que Dieu peut faire voir aux esprits toutes choses en voulant simplement qu’ils voient ce qui est au milieu d’eux-mêmes, c’est-à-dire ce qu’il y a dans lui-même qui a rapport à ces choses et qui les représente, il n’y a pas d’apparence qu’il le fasse autrement, et qu’il produise pour cela autant d’infinités de nombres infinis d’idées qu’il y a d’esprits créés.

Mais il faut bien remarquer qu’on ne peut pas conclure que les esprits voient l’essence de Dieu de ce qu’ils voient toutes choses en Dieu de cette manière. L’essence de Dieu, c’est son être absolu. et les esprits ne voient point la substance divine prise absolument, mais seulement en tant que relative aux créatures ou participable par elles. Ce qu’ils voient en Dieu est très-imparfait, et Dieu est très-parfait. Ils voient de la matière divisible, figurée, etc., et en Dieu il n’y a rien qui soit divisible ou figuré ; car Dieu est tout être, parce qu’il est infini et qu’il comprend tout ; mais il n’est aucun être en particulier. Cependant ce que nous voyons n’est qu’un ou plusieurs êtres en particulier ; et nous ne comprenons point cette simplicité parfaite de Dieu qui renferme tous les êtres. Outre qu’on peut dire qu’on ne voit pas tant les idées des choses que les choses mêmes que les idées représentent ; car lorsqu’on voit un carré,