Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/280

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Lorsqu’on dit que deux fois deux font quatre, les idées des nombres sont réelles, mais l’égalité qui est entre eux n’est qu’un rapport. Ainsi selon notre sentiment, nous voyons Dieu lorsque nous voyons des vérités éternelles : non que ces vérités soient Dieu, mais parce que les idées dont ces vérités dépendent sont en Dieu ; peut-être même que saint Augustin l’a entendu ainsi. Nous croyons aussi que l’on connaît en Dieu les choses changeables et corruptibles, quoique saint Augustin ne parle que des choses immuables et incorruptibles, parce qu’il n’est pas nécessaire pour cela de mettre quelque imperfection en Dieu ; puisqu’il suffit, comme nous avons déjà dit, que Dieu nous fasse voir ce qu’il y a dans lui qui a rapport à ces choses.

Mais quoique je dise que nous voyons en Dieu les choses matérielles et sensibles, il faut bien prendre garde que je ne dis pas que nous en ayons en Dieu les sentiments, mais seulement que c’est de Dieu qui agit en nous ; car Dieu connait bien les choses sensibles, mais il ne les sent pas. Lorsque nous apercevons quelque chose de sensible, il se trouve dans notre perception, sentiment et idée pure. Le sentiment est une modification de notre âme, et c’est Dieu qui la cause en nous ; et il la peut causer quoiqu’il ne l’ait pas, parce qu’il voit, dans l’idée qu’il a de notre âme, qu’elle en est capable. Pour l’idée qui se trouve jointe avec le sentiment, elle est en Dieu. et nous la voyons, parce qu’il lui plaît de nous la découvrir, et Dieu joint la sensation à l’idée lorsque les objets sont présents, afin que nous le croyions ainsi et que nous entrions dans les sentiments et dans les passions que nous devons avoir par rapport à eux.

Nous croyons enfin que tous les esprits voient les lois éternelles aussi bien que les autres choses en Dieu, mais avec quelque différence. Ils connaissent l’ordre et les vérités éternelles, et même les êtres que Dieu a faits selon ses vérités ou selon l’ordre, par l’union que ces esprits ont nécessairement avec le Verbe, ou la sagesse de Dieu qui les éclaire, comme on vient de l’expliquer. Mais c’est par l’impression qu’ils reçoivent sans cesse de la volonté de Dieu, lequel les porte vers lui, et tâche, pour ainsi dire, de rendre leur volonté entièrement semblable à la sienne, qu’ils connaissent que l’ordre immuable est leur loi indispensable ; ordre qui comprend ainsi toutes les lois éternelles, comme qu’il faut aimer le bien et fuir le mal ; qu’il faut aimer la justice plus que toutes les richesses ; qu’il vaut mieux obéir à Dieu que de commander aux hommes, et une infinité d’autres lois naturelles. Car la connaissance de toutes ces lois ou de l’obligation qu’ils ont de se conformer à l’ordre immuable n’est pas différente de la connaissance de cette impression,