Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/287

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raisons de certains philosophes qui prétendent le contraire, nous les avons trouvées fausses ; ce qui nous a confirme dans le sentiment que nous avions, qu’étant tous hommes de même nature, nous avions tous les mêmes idées, parce que nous avons tous besoin de connaître les mêmes.


CHAPITRE VIII.


I. La présence intime de l’idée vague de l’être en général est la cause de toutes les abstractions déréglées de l’esprit et de la plupart des chimères de la philosophie ordinaire, qui empêchent beaucoup de philosophes de reconnaître la solidité des vrais principes de physique. — II. Exemple touchant l’essence de la matière.


I. Cette présence claire, intime, nécessaire de Dieu, je veux dire de l’être sans restriction particulière, de l’être infini, de l’être en général, à l’esprit de l’homme, agit sur lui plus fortement que la présence de tous les objets finis. Il est impossible qu’il se défasse entièrement de cette idée générale de l’être, parce qu’il ne peut subsister hors de Dieu. Peut-être pourrait-on dire qu’il s’en peut éloigner, à cause qu’il peut penser à des êtres particuliers ; mais on se tromperait ; car quand l’esprit considère quelque être en particulier, ce n’est pas tant qu’il s’éloigne de Dieu que c’est plutôt qu’il s’approche, s’il est permis de parler ainsi, de quel qu’une de ses perfections représentatives de cet être en s’éloignant de toutes les autres. Toutefois, il s’en éloigne de telle manière qu’il ne les perd point entièrement de vue, et qu’il est presque toujours en état de les aller chercher et de s’en approcher. Elles sont toujours présentes à l’esprit, mais l’esprit ne les aperçoit que dans une confusion inexplicable, à cause de sa petitesse et de la grandeur de l’idée de l’être. On peut bien être quelque temps sans penser à soi-même ; mais ou ne saurait, ce me semble, subsister un moment sans penser à l’être ; et dans le même temps qu’on croit ne penser à rien, ou est nécessairement plein de l’idée vague et générale de l’être ; mais parce que les choses qui nous sont tort ordinaires et qui ne nous touchent point, ne réveillent point l’esprit avec quelque force et ne l’obligent point à faire quelque réflexion sur elles, cette idée de l’être, quelque grande, vaste, réelle et positive qu’elle soit, nous est si familière et nous touche si peu que nous croyons quasi ne la point voir, que nous n’y faisons point de réflexion, que nous jugeons ensuite qu’elle a peu de réalité, et qu’elle n’est formée que de l’assemblage confus de toutes les idées particulières ; quoiqu’au contraire ce soit dans elle seule et par elle seule que nous apprenons tous les êtres en particulier.