Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/294

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sophent point sur ce mystère et qui soumettent leur esprit à la foi, sans s’embarrasser inutilement dans ces questions très-difficiles.

On aurait donc tort de demander aux philosophes qu’ils donnassent des explications claires et faciles de la manière dont le corps de Jésus-Christ est dans l’eucharistie ; car ce serait leur demander qu’ils disent des nouveautés en théologie. Et si les philosophes répondaient imprudemment à cette demande, il semble qu’ils ne pourraient éviter la condamnation ou de leur philosophie ou de leur théologie ; car si leurs explications étaient obscures, on mépriserait les principes de leur philosophie ; et si leur réponse était claire ou facile, on appréhenderait peut-être la nouveauté de leur théologie.

Puis donc que la nouveauté en matière de théologie porte le caractère de l’erreur, et qu’on a droit de mépriser des opinions pour cela seul qu’elles sont nouvelles et sans fondement dans la tradition, on ne doit pas entreprendre de donner des explications faciles et intelligibles des choses que les pères et les conciles n’ont point entièrement expliquées ; et il suffit de tenir le dogme de la transsubstantiation sans en vouloir expliquer la manière ; car autrement ce serait jeter des semences nouvelles de disputes et de querelles dont il n’y a déjà que trop, et les ennemis de la vérité ne manqueraient pas de s’en servir malicieusement pour opprimer leurs adversaires.

Les disputes en matière d’explications de théologie semblent être des plus inutiles et des plus dangereuses, et elles sont d’autant plus craindre, que les personnes mêmes de piété s’imaginent souvent qu’ils ont droit de rompre la charité avec ceux qui n’entrent point dans leurs sentiments. On n’en a que trop d’expériences et la cause n’en est pas fort cachée. Ainsi c’est toujours le meilleur et le plus sûr de ne point se presser de parler des choses dont on n’a point d’évidence et que les autres ne sont pas disposés à concevoir.

Il ne faut pas aussi que des explications obscures et incertaines des mystères de la foi, lesquelles on n’est point obligé de croire, nous servent de règle et de principes pour raisonner en philosophie, où il n’y a que l’évidence qui nous doive persuader. Il ne faut pas changer les idées claires et distinctes d’étendue, de figure et de mouvement local, pour ces idées générales et confuses de principe ou de sujet d’étendue, de forme, de quiddités, de qualités réelles, et de tous ces mouvements de génération, de corruption, d’altération et d’autres semblables qui diffèrent du mouvement local. Les ideas réelles produiront une science réelle ; mais les idées générales et de logique ne produiront jamais qu’une science vague, superfi-