Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/306

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chaud et le plus sujet au changement. C’est même lui qui échauffe, qui agite et qui change toutes choses ; car c’est lui qui produit par son action, qui n’est autre chose que sa chaleur ou le mouvement de ses parties, tout ce que nous voyons de nouveau dans les changements des saisons. La raison démontre ces choses : mais si on peut résister à la raison, on ne peut résister à l’expérience ; car, puisqu’on a découvert dans le soleil, par le moyen des télescopes ou grandes lunettes, des taches aussi grandes que toute la terre qui s’y sont formées et qui se sont dissipées en peu de temps, on ne peut pas davantage nier qu’il ne soit beaucoup plus sujet au changement que la terre que nous habitons.

Tous les corps sont donc dans un mouvement et dans un changement continuel, et principalement ceux qui sont les plus fluides, comme le feu, l’air et l’eau ; puis les parties des corps vivants, comme la chair et même les os, et enfin les plus durs : et l’esprit ne doit pas supposer une espèce d’immutabilité dans les choses, par cette raison qu’il n’y voit point de corruption ni de changement. Car ce n’est pas une preuve qu’une chose soit toujours semblable à elle-même à cause qu’on n’y reconnaît point de différence, ni que des choses ne soient pas à cause que l’on n’en a point d’idée ou de connaissance.


CHAPITRE XI.
Exemples de quelques erreurs de morale qui dépendent du même principe.


Cette facilité que l’esprit trouve à imaginer et à supposer des ressemblances partout où il ne reconnaît pas visiblement de différences, jette aussi la plupart des hommes dans des erreurs très-dangereuses en matière de morale. En voici quelques exemples.

Un Français se rencontre avec un Anglais ou un Italien ; cet étranger à ses humeurs particulières : il a de la délicatesse d’esprit, ou si vous voulez il est fier et incommode. Cela portera d’abord ce Français à juger que tous les Anglais ou tous les Italiens ont le même caractère d’esprit que celui qu’il a fréquenté. Il les louera ou les blâmera tous en général ; et s’il en rencontre quelqu’un, il se préoccupera d’abord qu’il est semblable à celui qu’il a déjà vu, et il se laissera aller à quelque affection ou à quelque aversion secrète. En un mot, il jugera de tous les particuliers de ces nations par cette belle preuve qu’il en a vu un ou plusieurs qui avaient de certaines qualités d’esprit, parce que, ne sachant point d’ailleurs si les autres diffèrent, il les suppose tous semblables.

Un religieux de quelque ordre tombe dans une faute, cela suffit