Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/308

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coup plus et s’impriment plus fortement dans l’esprit que les jugements et les discours avantageux qu’on en fait.

Quand un homme du monde et qui suit ses passions s’attache fortement à son opinion, et qu’íl prétend dans les mouvements de sa passion qu’íl a raison de la suivre, on juge avec sujet que c’est un opiniâtre, et il le reconnaît lui-même des que sa passion est passée. De même quand une personne de piété, qui est pénétré de ue qu’íl dit, et qui a reconnu la vérité de la religion et la vanité des choses du monde, veut sur ses lumières résister aux dérèglements des autres, et qu’íl les reprend avec quelque zèle ; les gens du monde jugent aussi que c’est’un opiniâtre, et ainsi ils concluent que les dévots sont opiniâtres. Ils jugent même que les gens de bien sont beaucoup plus opiniâtres que les déréglés et les méchants, parce que ces derniers ne défendant leurs opinions que selon les différentes agitations du sang et des passions, ils ne peuvent pas demeurer long-temps dans leurs sentiments : ils en reviennent. Au lieu que les personnes de piété y demeurent fermes, parce qu”ils ne s’appuient que sur des fondements immobiles qui ne dépendent pas d’une chose aussi inconstante qu’est la circulation des humeurs et du sang.

Voici donc pourquoi le commun des hommes juge que les personnes de piété sont opiniâtres aussi bien que les personnes vicieuses. C’est que les gens de bien sont passionnés pour la vérité et pour la vertu, comme les méchants le sont pour le vice et pour le mensonge. Les uns et les autres parlent presque de la même manière pour soutenir leurs sentiments ; ils sont semblables en cela quoiqu’ils diffèrent dans le fond. En voilà assez afin que le monde, qui ne pénètre pas la différence des raisons, juge qu’ils sont semblables en tout à cause qu’ils sont semblables en la manière dont tout le monde est capable de juger.

Les dévots ne sont donc pas opiniâtres, ils sont seulement fermes comme ils le doivent être, et les vicieux et les libertins sont toujours opiniâtres, quand ils ne demeureraient qu’une heure dans leur sentiment : parce qu’on est seulement opiniâtre lorsqu’on défend une fausse opinion, quand même on ne la défendrait que peu de temps.

Il en est de même de certains philosophes, qui ont soutenu des opinions chimériques dont ils reviennent. Ils veulent que les autres qui défendent des vérités constantes et dont ils voient la certitude avec évidence les quittent comme de simples opinions ainsi qu’ils ont fait de celles dont ils s’étaient entêtes mal à propos. Et parce qu’íl n’ost pas facile d’avoir de la déférence pour eux au