Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/315

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui porte l’esprit de l’homme vers le bien en général. Certainement il ne faut pas s’imaginer que cette puissance que nous avons d’aimer vienne ou dépende de nous. Il n’y a que la puissance de mal aimer, ou plutôt de bien aimer ce que nous ne devons point aimer, qui dépende de nous ; parce qu’étant libres nous pouvons déterminer et nous déterminons, en effet, à des biens particuliers, et par conséquent à de faux biens, le bon amour que Dieu ne cesse point d’imprimer en nous, tant qu’il ne cesse point de nous conserver.

Mais non seulement notre volonté, ou notre amour pour le bien en général vient de Dieu, nos inclinations pour des biens particuliers, lesquelles sont communes à tous les hommes, quoique inégalement fortes dans tous les hommes, comme notre inclination pour la conservation de notre être et de ceux avec lesquels nous sommes unis par la nature, sont encore des impressions de la volonté de Dieu sur nous ; car j’appelle ici indifféremment du nom d’inclination naturelle toutes les impressions de l’auteur de la nature, qui sont communes à tous les esprits.

IV. Je viens de dire que Dieu aimait ses créatures, et que c’était même son amour qui leur donnait et leur conservait l’être. Ainsi, Dieu imprimant sans cesse en nous un amour pareil au sien, puisque c’est sa volonté qui fait et qui règle la nôtre, il donne aussi toutes ces inclinations naturelles qui ne dépendent point de notre choix, et qui nous portent nécessairement à la conservation de notre être et de ceux avec lesquels nous vivons.

Car, quoique le péché ait corrompu toutes choses, il ne les a pas détruites. Quoique nos inclinations naturelles n’aient pas toujours Dieu pour fin par le choix libre de notre volonté, elles ont toujours Dieu pour fin dans l’institution de la nature ; car Dieu qui les produit et qui les conserve en nous, ne les produit et ne les conserve que pour lui. Tous les pécheurs tendent à Dieu par l’impression qu’ils reçoivent de Dieu, quoiqu’ils s’en éloignent par l’erreur et l’égarement de leur esprit. Ils aiment bien, car on ne peut jamais mal aimer, puisque c’est Dieu qui fait aimer. Mais ils aiment de mauvaises choses, mauvaises seulement parce que Dieu, qui donne même aux pécheurs le pouvoir d’aimer, leur défend de les aimer, à cause que depuis le péché elles les détournent de son amour : car les hommes, s’imaginant que les créatures causent en eux le plaisir qu’ils sentent à leur occasion, se portent avec fureur vers les corps, et tombent dans un entier oubli de Dieu, qui ne paraît point à leurs yeux.

Nous avons donc encore aujourd’hui les mêmes inclinations naturelles, ou les mêmes impressions de l’auteur de la nature qu’avait