Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/330

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dence[1]. Or leur amour pour la nouveauté est déréglé, puisque possédant la vérité dans la foi de l’Église ils ne doivent plus rien rechercher ; outre que, les vérités de la foi étant infiniment au-dessus de leur esprit, ils ne pourraient pas les découvrir, supposé, selon leur fausse pensée, que l’Église fût tombée dans l’erreur.

Mais s’il y a plusieurs personnes qui se trompent en refusant de se soumettre à l’autorité de l’Église, il n’y en a pas moins qui se trompent en se soumettant à l’autorité des hommes. Il faut se soumettre à l’autorité de l’Église, parce qu’elle ne peut jamais se tromper ; mais il ne faut jamais se soumettre aveuglément à l’autorité des hommes, parce qu’ils peuvent toujours se tromper. Ce que l’Église nous apprend est infiniment au-dessus des forces de la raison ; ce que les hommes nous apprennent est soumis à notre raison. De sorte que si c’est un crime et une vanité insupportable que de chercher par son esprit la vérité dans les matières de la foi sans avoir égard à l’autorité de l’Église, c’est aussi une légèreté et une bassesse d’esprit méprisable que de croire aveuglément à l’autorité des hommes dans des sujets qui dépendent de la raison.

Cependant, on peut dire que la plupart de ceux que l’on appelle savants dans le monde n’ont acquis cette réputation que parce qu’ils savent par mémoire les opinions d’Aristote, de Platon, d’Èpicure et de quelques autres philosophes, qu’ils se rendent aveuglément à leurs sentiments, et qu’ils les défendent avec opiniâtreté. Pour avoir quelques degrés et quelques marques extérieures de doctrine dans les universités, il suffit de savoir les sentiments de quelques philosophes. Pourvu que l’on veuille jurer in verba magistri, avec un peu de mémoire on devient bientôt un docteur. Presque toutes les communautés ont une doctrine qui leur est propre et qu’il est défendu aux particuliers d’abandonner. Ce qui est vrai chez les uns est souvent faux chez les autres. Ils font gloire quelquefois de soutenir la doctrine de leur ordre contre la raison et l’expérience, et ils se croient obligés de donner des contorsions à la vérité ou à leurs auteurs pour les accorder l’un avec l’autre, ce qui produit un nombre infini de distinctions frivoles, lesquelles sont autant de détours qui conduisent infailliblement à l’erreur.

Si l’on découvre quelque vérité, il faut encore à présent qu’Aristote l’ait vue ; ou si Aristote y est contraire, la découverte sera fausse. Les uns font parler ce philosophe d’une façon, les autres d’une autre ; car tous ceux qui veulent passer pour savants lui font parler leur langage. Il n’y a point d’impertinence qu’on ne lui fasse dire, et il y a peu de nouvelles découvertes qui ne se trouvent énigmatique-

  1. Voy. les treizième et quatorzième Entr. sur la Mét.