Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/34

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persuadé, qu’on croie évidemment mal faire, si l’ou ne consent pas tout à fait.

Or ces deux inclinations que l’on a à l’égard des choses vraisemblables, sont fort bonnes. Car on peut et on doit donner son consentement aux choses vraisemblables, prises au sens qui porte l’image de la vérité : mais on ne doit pas donner encore un consentement entier, comme nous avons mis dans la règle ; et il faut examiner les côtés et les faces inconnues, afin d’entrer pleinement dans la nature de la chose, et bien distinguer le vrai d’avec le faux ; et alors consentir entièrement si l’évidence nous y oblige.

Il faut donc bien s’accoutumer à-distinguer la vérité d’avec la vraisemblance, en s’examinant intérieurement comme je viens d’expliquer : car c’est faute d’avoir eu soin de s’examiner de cette sorte, que nous nous sentons touchés presque de la même manière de deux choses si différentes. Car enfin il est de la dernière conséquence de faire bon usage de sa liberté, en s’abstenant toujours de consentir aux choses et de les aimer, jusqu’à ce qu’on se sente comme forcé de le faire par la voix puissante de l’auteur de la nature, que j’ai appelée auparavant les reproches de notre raison et les remords de notre conscience.

Tous les devoirs des êtres spirituels, tant des anges que des hommes, consistent principalement dans ce bon usage ; et l’on peut dire sans crainte, que, s’ils se servent avec soin de leur liberté, sans se rendre mal à propos esclave du mensonge et de la vanité, ils sont dans le chemin de la plus grande perfection dont ils soient naturellement capables : pourvu néanmoins que leur entendement ne demeure point oisif, qu’ils aient soin de l’exciter continuellement à de nouvelles connaissances, et qu’ils le rendent capable des plus grandes vérités, par des méditations continuelles sur des sujets dignes de son attention.

Car afin de se perfectionner l’esprit, il ne suffit pas de faire toujours usage de sa liberté, en ne consentant jamais à rien, comme ces personnes qui font gloire de ne rien savoir, et de douter de toutes choses. Il ne faut pas aussi consentir à tout, comme plusieurs autres qui ne craignent rien tant que d’ignorer quelque chose, et qui prétendent tout savoir. Mais il faut faire un si bon usage de son entendement, par des méditations continuelles, qu’on se trouve souvent en état de pouvoir consentir à ce qu’il nous représente sans aucune crainte de se tromper.