Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/341

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entre les esprits et les corps, les conséquences que l’on en peut tirer, comme l’immortalité de l’àme, et plusieurs autres semblables qu’on peut connaître avec certitude.

La science de l’homme ou de soi-même est une science que l’on ne peut raisonnablement mépriser ; elle est remplie d’une infinité de choses qu’il est absolument nécessaire de connaître pour avoir quelque justesse et quelque pénétration d’esprit ; et l’on peut dire que si un homme grossier et stupide est infiniment au-dessus de la matière, parce qu’il sait qu’il est, et que la matière ne le sait pas ; ceux qui connaissent l’homme sont beaucoup au-dessus des personnes grossières et stupides, parce qu’ils savent ce qu’ils sont, et que les autres ne le savent point.

Mais la science de l’homme n’est pas seulement estimable parce qu’elle nous élève au-dessus des autres ; elle l’est beaucoup plus parce qu’elle nous abaisse, et qu’elle nous humilie devant Dieu. Cette science nous fait parfaitement connaître la dépendance que nous avons de lui en toutes choses, et même dans nos actions les plus ordinaires ; elle nous découvre manifestement la corruption de notre nature ; eIlc nous dispose à recourir à celui qui seul nous peut guérir, à nous attacher à lui, à nous défier et nous détacher de nous-mêmes ; et elle nous donne ainsi plusieurs dispositions d’esprit très-propres pour nous soumettre à la grâce de l’Évangile.

On ne peut guère se passer d’avoir au moins une teinture grossière et une connaissance générale des mathématiques et de la nature. On doit avoir appris ces sciences des sa jeunesse ; elles détachent l’esprit des choses sensibles, et elles l’empêchent de devenir mou et efféminé ; elles sont assez d’usage dans la vie ; elles nous portent même à Dieu la connaissance de la nature le faisant par elle-même, et celle des mathématiques par le dégoût qu’elles nous inspirent pour les fausses impressions de nos sens.

Les personnes de vertu ne doivent point mépriser ces sciences, ni les regarder comme incertaines ou comme inutiles, s’ils ne sont assurés de les avoir assez étudiées pour en juger solidement. Il y en a assez d’autres qu’ils peuvent hardiment mépriser. Qu’ils condamnent au feu les poëtes et les philosophes païens, les rabbins, quelques historiens, et un grand nombre d’auteurs qui font la gloire et l’érudition de quelques savants, on ne s’en mettra guère en peine. Mais qu’ils ne condamnent pas la connaissance de la nature comme contraire à la religion ; puisque la nature étant réglée par la volonté de Dieu, la véritable connaissance de la nature nous fait connaître et admirer la puissance, la grandeur et la sagesse de Dieu. Car enfin il semble que Dieu ait formé l’univers afin que les esprits