Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/346

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du mouvement des corps inaltérables et incorruptibles est donc la plus haute et la plus relevée de toutes les sciences. Ainsi elle leur parait digne de la grandeur et l’excellence de leur esprit.

C’est ainsi que les hommes se laissent éblouir par une fausse idée de grandeur qui les flatte et qui les agite. Dès que leur imagination en est frappée, elle s’abat devant ce fantôme ; elle le révère et elle renverse et aveugle la raison qui en doit juger. Il semble que les hommes rêvent quand ils jugent des objets de leurs passions et qu’ils manquent de sens commun. Car enfin qu’y a-t-il de grand dans la connaissance des mouvements des planètes, et n’en savons-nous pas assez présentement pour régler nos mois et nos années ? Qu’avons-nous tant affaire de savoir si Saturne est environné d’un anneau ou d’un grand nombre de petites lunes, et pourquoi prendre parti là-dessus ? Pourquoi se glorifier d’avoir prédit la grandeur d’une éclipse où l’on a peut-être mieux rencontré qu’un autre, parce qu’on a été plus heureux ? Il y a des personnes destinées par l’ordre du prince à observer les astres. contentons-nous de leurs observations. Ils s’appliquent à cet emploi avec raison, car ils s’y appliquent par devoir : c’est leur affaire. Ils y travaillent avec succès, car ils y travaillent san cesse avec art, avec application et avec toute l’exactitude possible ; rien ne leur manque pour y réussir. Ainsi nous devons être pleinement satisfaits sur une matière qui nous touche si peu, lorsqu’ils nous font part de leurs découvertes.

Il est bon que plusieurs personnes s’appliquent à l’anatomie, puisqu’il est extrêmement utile de la savoir, et que les connaissances auxquelles nous devons aspirer sont celles qui nous sont les plus utiles. Nous pouvons et nous devons nous appliquer à ce qui contribue quelque chose à notre bonheur, ou plutôt au soulagement de nos infirmités et de nos misères. Mais passer toutes les nuits pendu à une lunette pour découvrir dans les cieux quelque tache ou quelque nouvelle planète, perdre sa santé et son bien et abandonner ie soin de ses affaires pour rendre réglément visite aux étoiles et pour en mesurer les grandeurs et les situations, il me semble que c’est oublier entièrement et ce qu’on est présentement et ce qu’on sera un jour.

Et qu’on ne dise pas que c’est pour reconnaître la grandeur de celui qui a fait tous ces grands objets. Le moindre moucheron manifeste davantage la puissance et la sagesse de Dieu à ceux qui le considèrent avec attention, et sans être préoccupés de sa petitesse, que tout ce que les astronomes savent des cieux Néanmoins les hommes ne sont pas faits pour examiner toute leur vie