Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/351

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Car il faut bien remarquer que le nombre des sots, ou de ceux qui se laissent conduire machinalement et par l’impression sensible étant infiniment plus grand que de ceux qui ont quelque ouverture d’esprit et qui ne se persuadent que par raison, quand un de ces savants parle et décide de quelque chose, il y a toujours beaucoup plus de personnes qui le croient sur sa parole que d’autres qui s’en défient. Mais, parce que ces faux savants s’éloignent le plus qu’ils peuvent des pensées communes, tant par le désir de trouver quelque opposant qu'ils maltraitent pour s’élever et pour paraître, que par renversement d’esprit ou par esprit de contradiction ; leurs décisions sont ordinairement fausses ou obscures, et il est assez rare qu’on les écoute sans tomber dans quelque erreur.

Or, cette manière de découvrir les erreurs des autres ou la solidité de leurs sentiments est assez difficile à mettre en usage. La raison de ceci est que les faux savants ne sont pas les seuls qui veulent paraitre ne rien ignorer, presque tous les hommes ont ce défaut, principalement ceux qui ont quelque lecture et quelque étude, ce qui fait qu’ils veulent toujours parler et expliquer leurs sentiments sans apporter assez d’attention pour bien comprendre celui des autres. Les plus complaisants et les plus raisonnables, méprisant dans leur cœur le sentiment des autres, montrent seulement une mine attentive, pendant que l’on voit dans leurs yeux qu’ils pensent à tout autre chose qu’à ce qu’on leur dit, et qu’ils ne sont occupés que de ce qu’ils veulent nous prouver sans songer à nous répondre. C’est ce qui rend souvent les conversations très-désagréables ; car de même qu’il n'y a rien de plus doux et qu’on ne saurait nous faire plus d’honneur que d’entrer dans nos raisons et d’approuver nos opinions, il n’y a rien aussi de si choquant que de voir qu’on ne les comprend pas et qu’on ne songe pas même à les comprendre : car enfin on ne se plaît pas à parler et à converser avec des statues, mais qui ne sont statues à notre égard que parce que ce sont des hommes qui n’ont pas beaucoup d’estime pour nous, et qui ne songent point à nous plaire, mais seulement à se contenter eux-mêmes en tâchant de se faire valoir. Que si les hommes savaient bien écouter et bien répondre, les conversations seraient non-seulement fort agréables, mais même très-utiles. Au lieu que, chacun tachant de paraître savant, on ne fait que s’entêter et disputer sans s’entendre ; on blesse quelquefois la charité, et l’on ne découvre presque jamais la vérité.

Mais les égarements où tombent les faux savants dans la conversation sont en quelque manière excusables. On peut dire pour eux