Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/357

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ceux qui ont l’esprit et le cœur occupé de la pensée et du désir de faire fortune, puissent découvrir des vérités cachées ; mais lorsqu’ils en découvrent, ils les abandonnent souvent par intérêt et parce que la défense de ces vérités ne s’accorde pas avec leur ambition. Il faut souvent consentir à Finjustice pour devenir magistrat ; une piété solide et peu commune éloigne souvent des bénéfices, et l’amour généreux de la vérité fait très-souvent perdre les chaires où l’on ne doit enseigner que la vérité.

Toutes ces raisons jointes ensemble font que les hommes qui sont beaucoup élevés au-dessus des autres par leurs dígnités, leur noblesse et leurs richesses, ou qui ne pensent qu’á s’élever et à faire quelque fortune, sont extrêmement sujets à l’erreur et très-peu capables des vérités un peu cachées. Car entre les choses qui sont nécessaires pour éviter l’erreur dans les questions un peu difficiles, il y en à deux principales qui ne se rencontrent pas ordinairement dans les personnes dont nous parlons, savoir : l’attention de l’esprit, pour bien pénétrer le fond des choses ; et la retenue, pour n’en pasjuger avec trop de précipitation. Ceux-là même qui sont choisis pour enseigner les autres, et qui ne doivent point avoir d’autre but que de se rendre habiles pour instruire ceux qui sont commis à leurs soins. deviennent d’ordinaire sujets à l’erreur aussitôt qu’ils deviennent personnes publiques ; soit parce qu’ayant très-peu de temps à eux, ils sont incapables d’att›ention et de s’appliquer aux choses qui en demandent beaucoup ; soit parce que, souhaitant étrangement de paraître savants, ils décident hardiment de toutes choses sans aucune retenue, et ne souffrent qu’avec peine qu’on leur résiste et qu’on les instruise.


CHAPITRE X.
De l’amour du plaisir par rapport à la morale. — I. Il faut fuir le plaisir, quoiqu’il rende heureux. — II. Il ne doit point nous porter A l’amour des biens sensibles.


Nous venons de parler dans les trois chapitres précédents de l’inclination que nous avons pour la conservation de notre être, et comment elle est cause que nous tombons dans plusieurs erreurs. Nous parlerons présentement de celle que nous avons pour le bien-être, c’est-à-dire pour les plaisirs et pour toutes les choses qui nous rendent plus heureux et plus contents, ou que nous croyons capables de cela ; et nous tâcherons de découvrir les erreurs qui naissent de cette inclination.

Il y a des philosophes qui tâchent de persuader aux hommes, que