Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/36

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sur les mêmes sujets, et par conséquent une infinité d’erreurs ? Cependant un très-grand nombre de disciples se laissent séduire, et se soumettent aveuglément à l’autorité de ces philosophes, sans comprendre même leurs sentiments.

Il est vrai qu’il y en a quelques-uns qui reconnaissent, après vingt ou trente années de temps perdu, qu’ils n’ont rien appris dans leur lectures, mais il ne leur plaît pas de nous le dire avec sincérité. Il faut auparavant qu’ils aient prouvé à leur mode qu’on ne peut rien savoir, et puis après ils le confessent, parce qu’alors ils croient le pouvoir faire, sans qu’on se moque de leur ignorance.

On aurait toutefois assez de sujet de s’en divertir et d’en rire. si on leur faisait avec adresse des demandes sur le progrès de leur belle érudition ; et s’ils se mettaient en humeur de nous déclarer en détail toutes les fatigues qu’ils ont endurées pour l’acquérir.

Mais quoique cette docte et profonde ignorance mérite d’ètre raillée, il semble plus à propos de l’épargner et d’avoir compassion de ceux qui ont consume tant d’années pour ne rien apprendre, que cette fausse proposition ennemie de toute science et de toute vérité, qu’on ne peut rien savoir.

Puis donc que la règle que j’ai établie est si nécessaire dans la recherche de la vérité, comme nous venons de voir, que l’on ne trouve point à redire qu’on la propose. Et que ceux qui ne veulent pas prendre la peine de l’observer ne condamnent pas au moins un auteur aussi illustre qu’est M. Descartes, à cause qu’il l’a suivie ou qu’il a fait tous ses efforts pour la suivre. Ils ne le condamneraient pas si hardiment s’ils connaissaient celui de qui ils portent un jugement si téméraire, et s’ils ne lisaient point ses ouvrages comme des fables et des romans, qu’on lit pour se divertir, et sur lesquels on ne médite pas pour s’instruire. S’ils méditaient avec cet auteur, ils trouveraient encore dans eux-mêmes quelques notions et quelques semences des vérités qu’il enseigne, qui pourraient se développer malgré le poids incommode de leur fausse érudition.

Le maître qui nous enseigne intérieurement veut que nous l’écoutions plutôt que l’autorité des plus grands philosophes ; il se plaît à nous instruire, pourvu que nous soyons appliqués à ce qu’il nous dit. C’est par la méditation, et par une attention fort exacte, que nous l’interrogeons, et c’est par une certaine conviction intérieure, et par ces reproches secrets qu’il fait à ceux qui ne s’y rendent pas, qu’il nous répond.

Il faut lire de telle sorte les ouvrages des hommes qu’on n’at-