Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/365

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reur, on a été obligé de dire par avance dans les autres livres que nous avions inclination pour les plaisirs, ce qu’il semble qu’on devait remettre à celui-ci, qui traite des inclinations naturelles ; et ainsi de quelques autres choses dans d’autres endroits. Tout le mal qui en arrivera, c’est que l’on n’aura pas besoin de dire ici beaucoup de choses que l’on serait obligé d’expliquer si on ne l’avait pas fait ailleurs.

Tout ce qui est dans l’homme est si fort dépendant l’un de l’autre, qu’on se trouve souvent comme accablé sous le nombre des choses qu’il faut dire dans le même temps pour expliquer à fond ce que l’on conçoit. On se trouve quelquefois obligé de ne point séparer les choses qui sont jointes par la nature les unes avec les autres, et d’aller contre l’ordre qu’on s’est prescrit, lorsque cet ordre n’apporte que de la confusion, comme il arrive nécessairement en quelques rencontres. Cependant avec tout cela il n’est jamais possible de faire sentir aux autres tout ce qu’on pense. Ce que l’on doit prétendre pour l’ordinaire, c’est de mettre les lecteurs en état de découvrir tout seuls, avec plaisir et facilité, ce que l’on a découvert soi-même avec beaucoup de peine et de fatigue. Et parce qu’on ne peut rien découvrir sans attention, l’on doit principalement s’étudier aux moyens de rendre les autres attentifs. C’est ce qu’on a tâché de faire, quoique l’on reconnaisse l’avoir assez mal exécute ; et l’on avoue sa faute d’autant plus volontiers, que l’aveu qu’on en fait doit exciter ceux qui liront ceci à se rendre attentifs par eux-mêmes pour y remédier, et pour pénétrer à fond des sujets qui méritent sans doute d’être pénétrés.

Les erreurs où nous jette l’inclination que nous avons pour les plaisirs, et généralement pour tout ce qui nous touche, sont infinies ; parce que cette inclination dissipe la vue de l’esprit, qu’elle l’applique sans cesse aux idées confuses des sens et de l’imagination, et qu’elle nous porte à juger de toutes choses avec précipitation par le seul rapport qu’elles ont avec nous.

I. On ne voit la vérité que lorsque l’on voit les choses comme elles sont, et on ne les voit jamais comme elles sont, si on ne les voit dans celui qui les renferme d’une manière intelligible. Lorsque nous voyons les choses en nous, nous ne les voyons que d’une manière fort imparfaite ; ou plutôt nous ne voyons que nos sentiments, et non pas les choses que nous souhaitons de voir et que nous croyons faussement que nous voyons.

Pour voir les choses comme elles sont en elles-mêmes, il faut de l’application, parce que présentement on ne s’unit pas à Dieu sans peine et sans effort. Mais pour voir les choses en nous, il ne faut