Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/368

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l’inquiétude de leur volonté corrompue par le péché, la légèreté de leur esprit qui dépend de l’agitation et de la circulation du sang, ne leur a pas permis de se nourrir davantage de ces grandes, de ces vastes et de ces fécondes vérités, qui sont les règles immuables et universelles de toutes les vérités passagères et particulières, qui se peuvent connaître avec exactitude.

La métaphysique de même est une science abstraite qui ne flatte point les sens, et à l’étude de laquelle l’âme n’est point sollicitée par quelque plaisir prévenant ; c’est aussi par la même raison que cette science est fort négligés, et que l’on trouve souvent des personnes assez stupides pour nier hardiment des notions communes. Il y en a même qui nient que l’on puisse et que l’on doive assurer d’une chose ce qui est renferme dans l’idée claire et distincte qu’on en a ; que le néant n’a point de propriétés ; qu’une chose ne peut être réduite à rien sans miracle ; qu’aucun corps ne se peut mouvoir par ses propres forces ; qu’un corps agité ne peut communiquer aux corps qu’il rencontre plus de mouvement qu’il en a, et d’autres choses semblables. Ils n’ont jamais considéré ces axiomes d’une vue assez fixe et assez nette, pour en découvrir clairement la vérité ; et ils ont fait quelquefois des expériences qui les ont faussement convaincus que quelques-uns de ces axiomes n’étaient pas vrais. Ils ont vu qu’en certaines rencontres les corps qui se choquaient avaient plus de mouvement après qu’avant le choc, et que dans d’autres ils en avaient moins. Ils ont vu souvent que le simple attouchement de quelque corps visible a été subitement suivi de grands mouvements. Et cette vue sensible de quelques expériences dont ils ne voient point les raisons leur a fait conclure que les forces naturelles se pouvaient et augmenter et détruire. Ne devraient-ils pas considérer que les mouvements peuvent se répandre des corps visibles aux invisibles, lorsque les corps mus se rencontrent ; ou des corps invisibles aux visibles dans d’autres occasions ? Lorsqu’un corps est suspendu à une corde, ce ne sont point les ciseaux avec lesquels on coupe la corde qui donnent le mouvement à ce corps, c’est une matière invisible. Lorsqu’on jette un charbon dans un tas de poudre à canon, ce n’est point le mouvement du charbon, mais une matière invisible qui sépare toutes les parties de cette poudre, et qui leur donne un mouvement capable de faire sauter une maison. Il y a mille manières inconnues par lesquelles la matière invisible communique son mouvement aux corps grossiers et visibles. Du moins n’est-il pas évident que cela ne se puisse faire, comme il est évident que la force mouvante des corps ne peut naturellement augmenter ni diminuer.