Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/374

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créatures ne dépend point de nos volontés, mais de celle du Créateur, il est encore clair que nous ne pouvons nous assurer de leur existence que par quelque espèce de révélation ou naturelle ou surnaturelle. Mais de plus, quand tous les êtres seraient des ressemblances de notre âme, comment pourrait-elle les voir dans ses modalités prétendues représentatives, elle qui ne connaît point sa substance parfaitement, secundum omnem modum quo cognoscibilis est ; qui ne connaît point comment elle est modifiée par la perception qu’elle a des objets ; que dis-je ! elle qui se confond avec le corps, et qui ne sait pas souvent quelles sont les modalités qui lui appartiennent ; elle enfin qui, lorsqu’on la touche, ou que les idées l’affectent par leur efficace, sent en elle-même ses modalités ou ses perceptions, car où pourrait-elle les sentir ailleurs ? mais qui ne découvrira jamais clairement ce qu’elle est, sa nature, ses propriétés, toutes les modalités dont elle est capable, jusques à ce que la substance lumineuse et toujours efficace de la divinité lui découvre l’idée qui la représente, l’esprit intelligible, le modèle éternel sur lequel elle a été formée ? Mais tâchons d’éclaircir encore cette matière, et de forcer tout esprit attentif à se rendre à cette proposition, qui m’avait paru claire par elle-même, que rien de fini ne peut représenter l’infini.

Il est certain que le néant ou le faux n’est point visible ou intelligible. Ne rien voir, ce n’est point voir ; penser à rien, c’est ne point penser. Il est impossible d’apercevoir une fausseté, un rapport, par exemple, d’égalité entre deux et deux et cinq ; car ce rapport ou tel autre, qui n’est point, peut être cru, mais certainement il ne peut être aperçu, parce que le néant n’est pas visible. C’est là proprement le premier principe de toutes nos connaissances ; c’est aussi celui par lequel j’ai commencé les Entretiens sur la métaphysique, dont il est à propos de lire les deux premiers ; car celui-ci, ordinairement reçu des cartésiens, qu’on peut assurer d’une chose ce que l’on conçoit clairement être renfermé dans l’idée qui la représente, en dépend ; et il n’est vrai qu’en supposant que les idées sont immuables, nécessaires et divines. Car si nos idées n’étaient que nos perceptions, si nos modalités étaient représentatives, comment saurions-nous que les choses répondent à nos idées, puisque Dieu ne pense, et par conséquent n’agit pas selon nos perceptions, mais selon les siennes ? Or, il suit de ce que le néant n’est point visible, que tout ce qu’on voit clairement, directement, immédiatement, existe nécessairement. Je dis ce qu’on voit immédiatement, qu’on y prenne garde, ou ce que l’on conçoit ; car, à parler en rigueur, les objets que l’on