Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/38

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loi que l’évidence n’accompagne pas, comme les sciences naturelles, dont il semble que la raison est que nous ne pouvons apercevoir les choses que par les idées que nous en avons. Or Dieu ne nous a donné des idées que selon les besoins que nous en avions pour nous conduire dans l’ordre naturel des choses, selon lequel il nous a créés. De sorte que les mystères de la foi étant d’un ordre sumaturel, il ne faut pas s’étonner si nous n’en avons pas l’évidence puisque nous n’en avons pas même d’idées : parce que nos âmes sont créées en vertu du décret général, par lequel nous avons toutes les notions qui nous sont nécessaires, et les mystères de la foi n’ont été établis que par l’ordre de la grâce qui, selon notre manière ordinaire de concevoir, est un décret postérieur à cet ordre de la nature[1].

Il faut donc distinguer les mystères de la foi des choses de la nature. Il faut se soumettre également à la foi et à l’évidence ; mais dans les choses de la foi il ne faut point chercher d’évidence, comme dans celles de la nature il ne faut point s’arrêter à la foi, c’est-à-dire à l’autorité des philosophes. En un mot, pour être fidèle, il faut croire aveuglément, mais pour être philosophe il faut voir évidemment.

On ne laisse pas de tomber d’accord qu’il y a encore des vérités outre celles de la foi, dont ; on aurait tort de demander des démonstrations incontestables, comme sont celles qui regardent des faits d’histoire, et d’autres choses qui dépendent de la volonté des hommes. Car il y a deux sortes de vérités, les unes sont nécessaires et les autres contingentes. J’appelle vérités nécessaires celles qui sont immuables par leur nature et celles qui ont été arrêtées par la volonté de Dieu, laquelle n’est point sujette aux changements. Toutes les autres sont des vérités contingentes. Les mathématiques, la métaphysique, et même une grande partie de la physique et de la morale contiennent des vérités nécessaires. L’histoire, la grammaire, le droit particulier ou les coutumes, et plusieurs autres qui dépendent de la volonté changeante des hommes, ne contiennent que des vérités contingentes.

On demande donc qu’on observe exactement la règle que l’on vient d’établir dans la recherche des vérités nécesaires, dont la connaissance peut être appelée science, et l’on doit se contenter de la plus grande vraisemblance dans l’histoire qui comprend les choses contingentes. Car on peut généralement appeler du nom d’histoire la connaissance des langues, des coutumes et même celles des différentes opinions des philosophes, quand on ne les a appri-

  1. Voy. les Éclaircissements.