Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/381

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quiétudes mortelles qui les agitent et qui les effraient. Les femmes, les jeunes gens, les esprits faibles sont les plus sujets aux scrupules et aux superstitions, et les hommes sont les plus capables de désespoir.

Il est facile de reconnaître les raisons de toutes ces choses ; car il est visible que l’idée de l’éternité étant la plus grande, la plus terrible et la plus effrayante de toutes celles qui étonnent l’esprit et qui frappent l’imagination, il est nécessaire qu’elle soit accompagnée d’une grande suite d’idées accessoires, lesquelles fassent toutes un effet considérable sur l’esprit, à cause du rapport qu’elles ont à cette grande et terrible idée de l’éternité.

Tout ce qui a quelque rapport à l’infini n’est point petit ; ou, s’il est petit en lui-même, il reçoit, par ce rapport, une grandeur qui n’a point de bornes, et qui ne se peut comparer avec tout ce qui est fini. Ainsi, tout ce qui a quelque rapport, ou même que l’on s’imagine avoir quelque rapport à cette alternative nécessaire d’une éternité de tourments ou d’une éternité de délices qui nous est proposée, effraie par nécessité tous les esprits qui sont capables de quelque réflexion et de quelque sentiment.

Les femmes, les jeunes gens et les esprits faibles, ayant, comme j’ai déjà dit ailleurs, les fibres du cerveau molles et flexibles, reçoivent des vestiges très-profonds de cette alternative ; et, lorsqu’ils ont abondance d’esprits et qu’ils sont plus capables de sentiment que de juste réflexion, ils reçoivent, par la vivacité de leur imagination, un très-grand nombre de faux vestiges et de fausses idées accessoires qui n’ont point de rapport naturel avec l’idée principale. Cependant ce rapport, quoique imaginaire, ne laisse pas d’entretenir et de fortifier ces faux vestiges et ces fausses idées acœssoires auxquelles il a donné la naissance.

Lorsque des plaideurs ont une grande affaire qui les occupe tout entiers et qu’ils n’entendent point le procès, ils ont souvent de vaines frayeurs, parce qu’ils craignent que de certaines choses leur nuisent, auxquelles les juges n’ont aucun égard et que les gens du métier n’appréhendent point. L’affaire est de si grande conséquence pour eux que l’ébranlement qu’elle produit dans leur cerveau se répand et se communique à des traces éloignées qui n’y ont point naturellement de rapport. Il en est de même des scrupuleux ; ils se font sans raison des sujets de crainte et d’inquiétude. Au lieu d’examiner la volonté de Dieu dans les saintes écritures. et de s’en rapporter à ceux dont l’imagination n’est point blessée, ils pensent incessamment à une loi imaginaire que des mouvements déréglés de crainte gravent dans leur cerveau. Et quoiqu’ils