Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/383

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point sentir la lumière de la vérité. Ils mettent leur confiance dans les promesses de Jésus-Christ, et ils suivent ses conseils ; car ils savent que les promesses des hommes sont aussi vaines que leurs conseils. Néanmoins, on peut dire que cette crainte que l’idée de l’éternité fait naître dans leurs esprits produit quelquefois un si grand ébranlement dans leur imagination, qu’ils n’osent tout à fait condamner ces traditions humaines, et que souvent ils les approuvent par leur exemple, parce qu’elles ont quelque apparence de sagesse dans leur superstition et dans leur fausse humilité, comme ces traditions pharisaïques dont parle saint Paul[1].

Mais ce qui est principalement ici digne de considération, et qui ne regarde pas tant le dérèglement des mœurs que celui de l’esprit, c’est que la crainte dont nous venons de parler étend assez souvent la foi aussi bien que le zèle de ceux qui en sont frappés jusqu’à des choses fausses ou indignes de la sainteté de notre religion. Il y a bien des gens qui croient, mais d’une foi constante et opiniâtre, que la terre est immobile au centre du monde ; que les animaux sentent une véritable douleur ; que les qualités sensibles sont répandues sur les objets ; qu’il y a des formes ou des accidents réels distingués de la matière, et une infinité de semblables opinions fausses ou incertaines, parce qu’ils se sont imaginé que ce serait aller contre la foi que de le nier. Ils sont effrayés par les expressions de l’Écriture sainte, qui parle pour se faire entendre, et qui, par conséquent, se sert des manières ordinaires de parler, sans dessein de nous instruire de la physique. Ils croient non-seulement ce que l’esprit de Dieu veut leur apprendre, mais encore toutes les opinions des juifs. Ils ne voient pas que Josué, par exemple. parle devant ses soldats comme Copernic même, Galilée et Descartes parleraient au commun des hommes, et que, quand même il aurait été dans le sentiment de ces derniers philosophes, il n’aurait point commandé à la terre qu’elle s’arrêtât, puisqu’il n’aurait point fait voir à son armée, par des paroles que l’on n’eût point entendues, le miracle que Dieu faisait pour son peuple. Ceux qui croient que le soleil est immobile ne disent-ils pas à leurs valets, à leurs amis, à ceux même qui sont de leur sentiment. que le soleil se leve ou qu’il se couche ? s’avisent-ils de parler autrement que tous les autres hommes dans le temps que leur principal dessein n’est pas de philosopher ? Josué savait-il parfaitement l’astronomie ? ou, s’il la savait, ses soldats la savaient-ils ? ou, si lui et ses soldats en étaient bien instruits, peut-on dire qu’ils voulaient philosopher dans le temps qu’ils ne pensaient qu’a combattre ? Josué devait

  1. Col. ch. 2, v. 22, 25.