Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/386

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nous ne tenions point naturellement à toutes choses, à cause qu’il y en a auxquelles nous ne prenons point de part.

Voulez-vous, par exemple, savoir si les hommes tiennent à leur prince, à leur patrie ; cherchez-en qui en connaissent les intérêts et qui n’aient point d’affaires particulières qui les occupent : vous verrez alors combien grande sera leur ardeur pour les nouvelles, leur inquiétude pour les batailles, leur joie dans les victoires, leur tristesse dans les défaites. Vous verrez alors clairement que les hommes sont étroitement unis à leur prince et à leur patrie.

De même, voulez-vous savoir si les hommes tiennent à la Chine et au Japon, aux planètes et aux étoiles fixes : cherchez-en, ou bien imaginez-vous-en quelques-uns dont le pays et la famille jouissent d’une profonde paix, qui n’aient point de passions particulières et qui ne sentent point actuellement l’union qui les tient attachés aux choses qui sont plus proche de nous que les cieux ; et vous reconnaîtrez que s’ils ont quelque connaissance de la grandeur et de la nature de ces astres. ils auront de la joie si l’on en découvre quelques-uns ; ils les considéreront avec plaisir ; et s’ils sont assez habiles, ils se donneront volontiers la peine d’en observer et d’en calculer les mouvements.

Ceux qui sont dans le trouble des affaires ne se mettent guère en peine s’il paraît quelque comète ou s’il arrive quelque éclipse ; mais ceux qui ne tiennent point si fort aux choses qui sont proche d’eux se font une affaire considérable de ces sortes d’événements, parce qu’en effet il n’y a rien à quoi l’on ne tienne, quoiqu’on ne le sente pas toujours ; de même qu’on ne sent pas toujours que son âme est unie, je ne dis pas à son bras et à sa main, mais à son cœur et à son cerveau.

La plus forte union naturelle que Dieu ait mise entre nous et ses ouvrages est celle qui nous lie avec les hommes avec lesquels nous vivons. Dieu nous a commandé de les aimer comme d’autres nous mêmes ; et afin que l’amour de choix par lequel nous les aimons soit ferme et constant, il le soutient et le fortifie sans cesse par un amour naturel qu’il imprime en nous. Il a mis pour cela certains liens invisibles qui nous obligent comme nécessairement à les aimer, à veiller à leur conservation comme à la nôtre, à les regarder comme des parties nécessaires au tout que nous composons avec eux, et sans lequel nous ne saurions subsister.

Il n’y a rien de plus admirable que ces rapports naturels qui se trouvent entre les inclinations des esprits des hommes, entre les mouvements de leur corps, et entre ces inclinations et ces mouvements. Tout cet enchaînement secret est une merveille qu’on ne