Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/393

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On s’attendra peut-être qu’ayant traité en général des inclinations des esprits, je doive descendre dans un détail exact de tous les mouvements particuliers qu’ils ressentent à la vue du bien et du mal ; c’est-à-dire que je doive expliquer la nature de l’amour, de la haine, de la joie, de la tristesse et de toutes les passions intellectuelles tant générales que particulières, tant simples que composées. Mais je ne me suis pas engagé à expliquer tous les différents mouvements dont les esprits sont capables.

Je suis bien aise que l’on sache que mon dessein principal dans tout ce que j’ai écrit jusqu’ici de la recherche de la vérité a été de faire sentir aux hommes leur faiblesse et leur ignorance, et que nous sommes tous sujets à l’erreur et au péché. Je l’ai dit, et je le dis encore, peut-être qu’on s’en souviendra : je n’ai jamais eu dessein de traiter à fond de la nature de l’esprit ; mais j’ai été obligé d’en dire quelque chose pour expliquer les erreurs dans leur principe, pour les expliquer avec ordre, en un mot, pour me rendre intelligible ; et si j’ai passé les bornes que je me suis proposées, c’est que j’avais, ce me semblait, des choses nouvelles à dire qui me paraissaient de conséquence, et que je croyais même qu’on pourrait lire avec plaisir. Peut-être me suis-je trompé, mais je devais avoir cette présomption pour avoir le courage de les écrire ; car le moyen de parler lorsqu’on n’espère pas d’être écouté ! ll est vrai que j’ai dit beaucoup de choses qui ne paraissent point tant appartenir au sujet que je traite que ce particulier des mouvements de l’âme ; je l’avoue, mais je ne prétends point m’obliger à rien lorsque je me fais un ordre. Je me fais un ordre pour me conduire, mais je prétends qu’il m’est permis de tourner la tète lorsque je marche si je trouve quelque chose qui mérite d’être considéré. Je prétends même qu’il m’est permis de me reposer en quelques lieux à l’écart, pourvu que je ne perde point de vue le chemin que je dois suivre. Ceux qui ne veulent point se délasser avec moi peuvent passer outre ; il leur est permis, ils n’ont qu’à tourner la page ; mais, s’ils se lâchent, qu’ils sachent qu’il y a bien des gens qui trouvent que ces lieux que je choisis pour me reposer leur font trouver le chemin plus doux et plus agréable.