Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/395

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émotions sensibles. J’ai donc appelé inclinations naturelles tous les mouvements de l’âme qui nous sont communs avec les pures intelligences ; et quelques-uns de ceux auxquels le corps a beaucoup de part, mais dont il n’est qu’indirectement et la cause et la fin, je les ai expliqués dans le livre précédent ; et j’appelle ici passions toutes les émotions que l’âme ressent naturellement à l’occasion des mouvements extraordinaires des esprits animaux et du sang. Ce sont ces émotions sensibles qui feront le sujet de ce livre.

Quoique les passions soient inséparables des inclinations et que les hommes ne soient capables de quelque amour ou de quelque haine sensible que parce qu’ils sont capables d’un amour et d’une haine spirituelle ; on a cru cependant qu’il était à propos de les traiter séparément, afin d’éviter la confusion. Si l’on considère que les passions sont beaucoup plus fortes et plus vives que les inclinations naturelles, qu’elles ont pour l’ordinaire d’autres objets, et qu’elles sont toujours produites par d’autres causes, on reconnaîtra que ce n’est pas sans raison qu’on sépare des choses qui sont inséparables par leur nature.

Les hommes ne sont capables de sensations et d’imaginations que parce qu’ils sont capables de pures intellections, les sens et l’imagination étant inséparables de l’esprit ; et néanmoins personne ne trouve à redire que l’on traite séparément de ces facultés de l’âme, quoiqu’elles soient naturellement inséparables.

Enfin les sens et l’imagination ne diffèrent pas davantage de l’entendement pur que les passions diffèrent des inclinations. Ainsi il fallait séparer ces deux dernières facultés comme on a coutume de séparer les trois premières, afin de faire mieux discerner ce que l’âme reçoit de son auteur par rapport au corps d’avec ce qu’elle tient de lui sans ce rapport. Le seul inconvénient qui naitra naturellement de cette séparation de deux choses naturellement unies sera, comme il arrive toujours dans de pareilles occasions, la nécessité de répéter quelque chose de ce qu’on a déjà dit.

L’homme est un, quoiqu’il soit composé de plusieurs parties ; et l’union de ces parties est si étroite qu’on ne peut le toucher en un endroit qu’on ne le remue tout entier. Toutes ses facultés se tiennent et sont tellement subordonnées qu’il est impossible d’en bien expliquer quel qu’une sans dire quelque chose des autres. Ainsi, en tâchant de se faire un ordre pour éviter la confusion, l’on se trouve obligé de répéter. Mais il vaut mieux répéter que de confondre, parce qu’il faut se rendre intelligible ; et dans cette nécessité de répéter, ce qui se peut faire de mieux est de répéter sans ennuyer.