Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/405

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mort. Il y a souvent tant de chaleur et d’entêtement de part et d’autre dans les guerres de religion et dans la défense des superstitions, qu’on ne peut douter qu’il n’y ait de la passion, et même une passion bien plus ferme et bien plus constante que toutes les autres, parce qu’elle est soutenue par les apparences de la raison aussi bien dans ceux qui sont trompés que dans les autres.

Nous sommes donc unis par nos passions à tout ce qui nous parait être le bien ou le mal de l’esprit comme à tout ce qui nous paraît. être le bien ou le mal du corps. Il n’y a rien que nous puissions connaître avoir quelque rapport avec nous qui ne soit capable de nous agiter ; et de toutes les choses que nous connaissons, il n’y en a aucune qui n’ait quelque rapport avec nous. Nous prenons toujours quelque intérêt dans les vérités même les plus abstraites lorsque nous les connaissons, parce qu’au moins il y a ce rapport entre elles et notre esprit que nous les connaissons. Elles sont nôtres pour ainsi dire par notre connaissance. Nous sentons qu’on nous blesse lorsqu’on les combat ; et si l’on nous blesse, il est certain que l’on nous agite et que l’on nous inquiète. Ainsi les passions ont une domination si vaste et si étendue, qu’il est impossible de concevoir aucune chose à l’égard de laquelle on puisse assurer que tous les hommes soient exempts de leur empire. Mais voyons présentement quelle est leur nature, et tâchons de découvrir toutes les choses qu’elles renferment.


CHAPITRE III.
Explication particulière de tous les changements qui arrivent an corps et à l’âme dans les passions.


On peut distinguer sept choses dans chacune de nos passions, excepté dans l’admiration, laquelle aussi n’est qu’une passion imparfaite.

La première chose est le jugement que l’esprit porte d’un objet, ou plutôt c’est la vue confuse ou distincte du rapport qu’un objet a avec nous.

La seconde est une actuelle détermination du mouvement de la volonté vers cet objet, supposé qu’il soit ou qu’il paraisse un bien. Avant cette vue, le mouvement naturel de l’âme ou était indéterminé, c’est-à-dire qu’il se portait vers le bien en général ; où il était déterminé ailleurs par la connaissance de quelque autre objet particulier. Mais dans le moment que l’esprit aperçoit le rapport que cet objet nouveau a avec lui, ce mouvement général de la volonté