Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/415

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bouche de Senèque, d’Épicure même, et cnfin de tous les philosophes qui paraissaient les plus raisonnables ; parce que le joug de Jésus-Christ n’est doux qu’à ceux qui appartiennent à Jésus-Christ, et sa charge ne nous semble légère que lorsque sa grâce la porte avec nous.


CHAPITRE IV.
Que les plaisirs et les mouvements des passions nous engagent dans l’erreur à l’égard du bien, et qu’il faut y résister sans cesse. Manière de combattre le libertinage.


Toutes les choses que nous venons d’expliquer des passions en général ne sont point libres ; elles sont en nous sans nous ; et il n’y a que le seul consentement de notre volonté qui dépende absolument de nous. La vue du bien est naturellement suivie du mouvement d’amour, du sentiment d’amour, de l’ébranlement du cerveau et du mouvement des esprits, d’une nouvelle émotion de l’âme qui augmente le premier mouvement d’amour, d’un nouveau sentiment de l’ãme qui augmente le premier sentiment d’amour, et enfin du sentiment de douceur qui récompense l’âme de ce que le corps est dans l’état où il doit être. Toutes ces choses se passent dans l’âme et dans le corps naturellement et machinalement, je veux dire sans qu’elle y ait part, et il n’y a que notre seul consentement qui soit véritablement de nous. C’est aussi ce consentement qu’il faut régler, qu’il faut conserver libre, malgré tous les eíïorts des passions. C’est à Dieu seul à qui il faut soumettre sa liberté : il ne faut se rendre qu’à la voix de l’auteur de la nature, à l’évidence intérieure, aux reproches secrets de sa raison. Il ne faut consentir que lorsqu’on voit clairement que l’on ferait mauvais usage de sa liberté si l’on ne voulait pas consentir ; c’est là la principale règle qu’il faut observer pour éviter l’erreur et le péché.

Il n’y a que Dieu seul qui nous fasse voir avec évidence que nous devons nous rendre à ce qu’il souhaite de nous ; il ne faut donc être esclave que de lui seul. Il n’y a point d’évidence dans les attraits et les caresses, dans les menaces et les frayeurs que les passions causent en nous ; ce ne sont que des sentiments confus et obscurs auxquels il ne se faut point rendre. Il faut attendre qu’une lumière plus pure nous éclaire, que ces faux jours des passions se dissipent, et que Dieu parle, Il faut rentrer en nous mêmes et chercher en nous celui qui ne nous quitte jamais et qui nous éclaire toujours. Il parle bas, mais sa voix est distincte ; il éclaire peu, mais sa lumière est pure. Non, sa voix est aussi forte qu’elle est distincte ; sa lumière est aussi vive et aussi éclatante