Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/436

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corps : il est donc général à tous les hommes. Mais l’amour de la musique, de la chasse ou de la danse n’est pas général, parce que la disposition du corps dont il dépend étant différente dans tous les hommes, toutes les passions qui en dépendent ne sont pas toujours les mêmes.

Les passions générales, comme le désir, la joie et la tristesse, tiennent le milieu entre les inclinations naturelles et les passions particulières. Elles sont générales comme les inclinations ; mais elles ne sont pas également fortes, parce que la cause qui les produit et qui les entretient n’est pas elle-même également agissante. Il y a une variété infinie dans les degrés d’agitation des esprits animaux, dans leur abondance et leur disette, leur solidité et leur délicatesse, et dans le rapport des fibres du cerveau avec ces esprits.

Ainsi, il arrive très-souvent que l’on ne touche les autres en aucun endroit de leur âme lorsque l’on parle des passions particulières ; mais lorsqu’on les touche, ils en sont fortement émus. Il en est au contraire des passions générales et des inclinations, on touche toujours lorsque l’on en parle ; mais on touche d’une manière si faible et si languissante ; qu’on ne se fait presque pas sentir. Je dis ces choses, afin que l’on ne juge pas si je me trompe par le seul sentiment qu’on a déjà reçu de ce que j’ai dit ou que l’on recevra de ce que je dirai dans la suite, mais par la considération de la nature des passions dont je traite.

Si l’on se proposait de traiter de toutes les passions particulières, ou si on les distinguait par les objets qui les excitent, il est visible qu’on ne finirait jamais et qu’on dirait toujours la même chose. On ne finirait jamais, parce que les objets de nos passions sont infinis ; et l’on dirait toujours la même chose, parce que l’on traiterait toujours du même sujet. Les passions particulières pour la poésie, pour l’histoire, pour les mathématiques, pour la chasse et pour la danse ne sont qu’une même passion générale ; car, par exemple, les passions de désir ou de joie pour tout ce qui plaît ne sont pas différentes, quoique les objets particuliers qui plaisent soient différents.

Il ne faut donc pas multiplier le nombre des passions selon le nombre des objets qui sont infinis, mais seulement selon les principaux rapports qu’ils peuvent avoir avec nous. Et de cette manière on reconnaîtra, comme nous l’expliquerons plus bas, que l’amour et l’aversion sont les passions-mères ; qu’elles n’engendrent point d’autres passions générales que le désir, la joie et la tristesse ; que les passions particulières ne sont composées que de ces