Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/439

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La vue de la perfection de son être ou de quelque chose qui lui appartient produit naturellement l’orgueil, ou l’estime de soi-même, le mépris des autres, la joie, et quelques autres passions. La vue de sa propre grandeur produit la fierté ; la vue de sa force, la générosité ou la hardiesse ; et la vue de quelque autre qualité avantageuse produit naturellement une autre passion, qui sera toujours une espèce d’orgueil.

Au contraire, la vue de quelque imperfection de son être ou d’une chose qui lui appartient produit naturellement l’humilité, le mépris de soi-même, le respect pour les autres, la tristesse, et quelques autres passions. La vue de sa petitesse produit la bassesse ; la vue de sa faiblesse, la timidité ; et la vue de quelque qualité désavantageuse produit naturellement une autre passion, qui sera toujours une espèce d’humilité. Mais cette humilité, aussi bien que l’orgueil dont je viens de parler, n’est proprement ni vertu ni vice : ce ne sont l’une et l’autre que des passions ou des émotions involontaires, qui sont néanmoins très-utiles à la société civile, et même absolument nécessaires en quelques rencontres pour la conservation de la vie ou des biens de ceux qui en sont agitée.

Il est nécessaire, par exemple, d’être humble et timide, et même de témoigner au dehors la disposition de son esprit par une contenance modeste et par un air respectueux ou craintif, lorsqu’on est en présence d’une personne de haute qualité ou d’un homme fier et puissant ; car il est presque toujours avantageux pour le bien du corps que l’imagination s’abatte à la vue de la grandeur sensible, et qu’elle lui donne des marques extérieures de sa soumission et de sa vénération intérieure. Mais cela se fait naturellement et machinalement, sans que la volonté y ait de part, et souvent même malgré toute sa résistance. Les bêtes mêmes qui ont besoin, comme les chiens, de fléchir ceux avec qui elles vivent, ont d’ordinaire leur machine disposée de manière qu’elles prennent l’air qu’elles doivent avoir par rapport a ceux qui les environnent : car cela est absolument nécessaire pour leur conservation. Et si les oiseaux, ou quelques autres animaux, n’ont point la disposition du corps propre pour prendre cet air, c’est qu’ils n’ont pas besoin de fléchir ceux dont ils peuvent, par la fuite, éviter le courroux, et dont ils peuvent se passer pour la conservation de leur vie.

On ne peut trop considérer que toutes les passions, qui sont excitées en nous à la vue de quelque chose qui est hors de nous. répandent machinalement sur le visage de ceux qui en sont frappés l’air qui leur convient, c’est-à-dire un air qui, par son impres-