Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/464

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et des maux. Mais comme nous recherchons principalement ici les causes de nos erreurs, nous ne devons pas tant nous arrêter à examiner les jugements qui précèdent et qui causent les passions, que ceux qui les suivent, et que l’ùme forme des choses lorsque quelque passion l’agite ; car ce sont ces derniers jugements qui sont les plus sujets à l’erreur.

Les jugements qui précédent et qui causent les passions, sont presque toujours faux en quelque chose, car ils sont presque toujours appuyés sur les perceptions de l’àme, en tant qu’elle considère les objets par rapport à elle, et non point selon ce qu’ils sont en eux-mêmes. Mais les jugements, qui suivent les passions, sont faux en toutes manières ; car les jugements que forment les passions toutes seules, sont uniquement appuyés sur les perceptions que l’àme a des objets par rapport à elle, ou plutôt par rapport à son émotion actuelle.

Dans les jugements qui précèdent les passions, le vrai et le faux sont joints ensemble ; mais lorsque l’âme est agitée, et qu’elle juge selon toute l’inspiration de la passion, le vrai se dissipe et le faux se conserve, pour servir de principe à d’autant plus de fausses conclusions que la passion est plus grande.

Toutes les passions se justifient : elles représentent sans cesse à l’âme l’objet qui l’agite, de la manière la plus propre pour conserver et pour augmenter son agitation. Le jugement ou la perception qui la cause, se fortifie à proportion que la passion s’augmente ; et la passion s’augmente à proportion que le jugement qui la produit à son tour se fortifie. Les faux jugements et les passions contribuent sans cesse à leur mutuelle conservation. De sorte que si le cœur ne cessait point de fournir les esprits propres pour entretenir les vestiges du cerveau et l’épanchement des mêmes esprits, ce qui est nécessaire pour conserver le sentiment et l’émotion de l’âme qui accompagnent les passions, elles augmenteraient sans cesse, et nous ne reconnaîtrions jamais nos erreurs. Mais comme toutes nos passions dépendent de la fermentation et de la circulation du sang, et que le cœur ne peut pas toujours fournir des esprits propres pour leur conservation, il est nécessaire qu’elles cessent, lorsque les esprits diminuent et que le sang se refroidit.

Si c’est une chose fort facile que de découvrir les jugements ordinaires des passions, ce n’est pas une chose qu’il faille négliger. Il y a peu de sujets plus dignes de l’application de ceux qui recherchent la vérité, qui tâchent de se délivrer de la domination de leur corps, et qui veulent juger de toutes choses selon les véritables idées.