Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/467

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ment ne suffit que trop pour porter l’âme à juger avantageusement d’un objet.

Si l’on juge si facilement que le feu contient en lui-même la chaleur que l’on sent, et le pain la saveur que l’on goûte, à cause du sentiment que ces corps excitant en nous, quoique cela soit entièrement incompréhensible à l’esprit, puisque l’esprit ne peut concevoir que la chaleur et la saveur soient des manières d’être d’un corps ; il n’y a point d’objet de nos passions, si vil et si méprisable qu’il paraisse, que nous ne jugions bon lorsque nous sentons du plaisir dans sa jouissance. Car, comme l’on s’imagine que la chaleur sort du feu, à sa présence, on croit aveuglément que les objets des passions causent le plaisir que l’on goûte lorsqu’on en jouit ; et qu’ainsi ils sont bons, puisqu’ils sont capables de nous faire du bien. Il faut dire le même des passions qui ont le mal pour objet.

Mais, comme je viens de dire, il n’y a rien qui ne soit digne d’amour ou d’aversion, soit par lui-même, soit par quelque chose à laquelle il ait rapport ; et lorsqu’on est agité de quelque passion, on a bientôt découvert dans son objet le bien et le mal qui la favorise. Ainsi il est très-facile de reconnaître par la raison, quels peuvent être les jugements que les passions qui nous agitent forment en nous.

Car, si c’est un désir d’amour qui nous agite, on comprend bien qu’il ne manquera pas de se justifier par les jugements avantageux qu’il formera sur son objet. On voit aisément que ces jugements auront d’autant plus d’étendue, que le désir sera plus violent ; et que souvent ils seront entiers et absolus, quoique la chose ne paraisse bonne que par un très-petit endroit. On conçoit sans peine que ces jugements avantageux s’étendront à toutes les choses qui ont, ou qui sembleront avoir quelque liaison avec l’objet principal de la passion ; et cela d’autant plus que la passion sera plus forte et imagination plus étendue. Mais, si le désir est un désir d’aversion, il arrivera tout le contraire, par des raisons qu’il est également facile de comprendre. L’expérience prouve assez ces choses, et en cela elle s’accommode parfaitement avec la raison. Mais rendons ces vérités plus sensibles par des exemples.

Tous les hommes désirent naturellement de savoir, car tout esprit est fait pour la vérité ; mais le désir de savoir, tout juste et tout raisonnable qu’il est en lui-même, devient souvent un vice très-dangereux par les faux jugements qui l’accompagnent. La curiosité offre souvent à l’esprit de vains objets de ses méditations et de ses veilles : elle attache souvent à ces objets de fausses idées de