Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/479

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de la vérité qui lui puisse donner quelque perfection et quelque satisfaction solide.

Il est donc facile de conclure que n’y ayant que l’évidence qui, selon notre première règle, nous assure que nous ne nous trompons point, nous devons surtout prendre garde à conserver cette évidence dans toutes nos perceptions, afin que nous puissions juger solidement de toutes les choses qui sont soumises à notre raison et découvrir toutes les vérités dont nous sommes capables.

Les choses qui peuvent produire et conserver cette évidence sont de deux sortes. Il y en à qui sont en nous ou qui dépendent en quelque manière de nous ; d’autres qui n’en dépendent point. Car de même que pour voir distinctement les objets visibles il est nécessaire d’avoir la vue bonne et de l’arrêter fixement sur ces objets, deux choses qui sont en nous ou qui dépendent de nous en quelque manière ; il faut aussi avoir l’esprit bon et l’appliquer fortement pour pénétrer le fond des vérités intelligibles, deux choses qui sont aussi en nous ou qui dépendent de nous en quelque manière.

Mais comme les yeux ont besoin de lumière pour voir, et que cette lumière dépend de causes étrangères, l’esprit aussi a besoin d’idées pour concevoir, et ces idées, comme l’on a prouvé ailleurs, ne dépendent point de nous, mais d’une cause étrangère qui nous les donne néanmoins en conséquence de notre attention. S’il arrivait donc que les idées des choses ne fussent pas présentes à notre esprit toutes les fois que nous souhaitons de les avoir, et si celui qui éclaire le monde nous les voulait cacher, il nous serait impossible d’y remédier et de connaître aucune chose ; de même qu’il ne nous est pas possible de voir les objets visibles lorsque la lumière nous manque. Mais c’est ce qu’on n’a pas sujet de craindre, car la présence des idées à notre esprit étant naturelle et dépendante de la volonté générale de Dieu, qui est toujours constante et immuable, elle ne nous manque jamais pour découvrir les choses qui sont naturellement sujettes à la raison ; car le soleil qui éclaire les esprits n’est pas comme le soleil qui éclaire les corps ; il ne s’éclipse jamais, et il pénètre tout sans que sa lumière soit partagée.

Les idées de toutes choses nous étant donc continuellement présentes dans le temps même que nous ne les considérons pas avec attention, il ne reste autre chose à faire, pour conserver l’évidence dans toutes nos perceptions, qu’a chercher les moyens de rendre notre esprit plus attentif et plus étendu ; de même que pour bien distinguer les objets visibles qui nous sont présents il n’est nécessaire de notre part que d’avoir bonne vue et de les considérer fixement.