Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/50

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nature de plus petits, et de plus petits à l’infini dans cette proportion si étrange d’un homme à un ciron.

Nous avons des démonstrations évidentes et mathématiques de la divisibilité de la matière à l’infini ; et cela suffit pour nous faire croire qu’il peut y avoir des animaux plus petits et plus petits à l’infini, quoique notre imagination s’effarouche de cette pensée. Dieu n’a fait la matière que pour en former des ouvrages admirables ; et puisque nous sommes certains qu’il n’y a point de parties dont la petitesse soit capable de borner sa puissance dans la formation de ces petits animaux, pourquoi la limiter et diminuer ainsi sans raison l’idée que nous avons d’un ouvrier infini, en mesurant sa puissance et son adresse par notre imagination qui est finie ?

L’expérience nous a déjà détrompés en partie, en nous faisant voir des animaux mille fois plus petits qu’un ciron, pourquoi voudrions-nous qu’ils fussent les derniers et les plus petits de tous ? Pour moi, je ne vois pas qu’il y ait raison de se l’imaginer. Il est au contraire bien plus vraisemblable de croire qu’il y en a de beaucoup plus petits que ceux que l’on a découverts ; car enfin les petits animaux ne manquent pas aux microscopes, comme les microscopes manquent aux petits animaux.

Lorsqu’on examine au milieu de l’hiver le germe de l’oignon d’une tulipe, avec une simple loupe ou verre convexe, ou même seulement avec les yeux, on découvre fort aisément dans ce germe les feuilles qui doivent devenir vertes, celles qui doivent composer la fleur ou la tulipe, cette petite partie triangulaire qui enferme la graine, et les six petites colonnes qui l’environnent dans le fond de la tulipe. Ainsi on ne peut douter que le germe d’un oignon de tulipe ne renferme une tulipe tout entière.

Il est raisonnable de croire la même chose du germe d’un grain de moutarde, de celui d’un pépin de pomme, et généralement de toutes sortes d’arbres et de plantes, quoique cela ne se puisse pas voir avec les yeux, ni même avec le microscope ; et l’on peut dire avec quelque assurance que tous les arbres sont en petit dans le germe de leur semence.

Il ne paraît pas même déraisonnable de penser qu’il y a des arbres infinis dans un seul germe, puisqu’il ne contient pas seulement l’arbre dont il est la semence, mais aussi un très-grand nombre d’autres semences, qui, peuvent toutes renfermer dans elles-mêmes de nouveaux arbres et de nouvelles semences d’arbres ; lesquelles conserveront peut-être encore, dans une petitesse incompréhensible, d’autres arbres et d’autres semences aussi fécondes que les