Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/501

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faut remarquer que toutes les choses qui tombent sous l’imagination ne peuvent pas s’imaginer avec une égale facilité ; car toutes les images ne remplissent pas également la capacité de l’esprit. Il est plus difficile d’imaginer un solide qu’un plan, et un plan qu’une simple ligne : car il y a plus de pensée dans la vue claire d’un solide que dans la vue claire d’un plan et d’une ligne. Il en est de même des différentes lignes ; il faut plus de pensée, c’est-à-dire plus de capacité d’esprit, pour se représenter une ligne parabolique ou elliptique, ou quelques autres plus composées, que pour se représenter la circonférence d’un cercle, et plus.pour la circonférence d’un cercle que pour une ligne droite, parce qu’il est plus difficile d’imaginer des lignes qui se décrivent par des mouvements fort composés et qui ont plusieurs rapports, que celles qui se décrivent par des mouvements très-simples ou qui ont moins de rapports. Car les rapports ne pouvant être clairement aperçus sans l’attention de l’esprit à plusieurs choses, il faut d’autant plus de pensée pour les apercevoir qu’ils sont en plus grand nombre. Il y a donc des figures si composées que l’esprit n’a point assez d’étendue pour les imaginer distinctement ; mais il y en a aussi d’autres que l’esprit imagine avec beaucoup de facilité.

Des trois espèces d’angles rectilignes, l’aigu, le droit et l’obtus, il n’y a que le droit qui réveille dans l’esprit une idée distincte et bien terminée. Il y a une infinité d’angles aigus qui diffèrent tous entre eux ; il en est de même de ceux qui sont obtus. Ainsi, lorsqu’on imagine un angle aigu ou un angle obtus, on n’imagine rien d’exact ni rien de distinct. Mais lorsqu’on imagine un angle droit, on ne peut se tromper : l’idée en est bien distincte, et l’image même que l’on s’en forme dans le cerveau est d’ordinaire assez juste.

Il est vrai qu’on peut aussi déterminer l’idée vague d’angle aigu à l’idée particulière d’un angle de trente degrés, et que l’idée d’un angle de trente degrés est aussi exacte que celle d’un angle de 90, c’est-à-dire d’un angle droit. Mais l’image que l’on tâcherait de s’en former dans le cerveau ne serait point, à beaucoup près, si juste que celle d’un angle droit. On n’est point accoutumé à se représenter cette image, et on ne peut la tracer qu’en pensant à un cercle ou à une partie déterminée d’un cercle divisé en parties égales. Mais pour imaginer un angle droit, il n’est point nécessaire de penser à cette division de cercle ; la seule idée de perpendiculaire suffit à l’imagination pour tracer l’image de cet angle, et l’on ne sent aucune difficulté à se représenter des perpendiculaires, parce qu’on est accoutumé à voir toutes choses debout.

Il est donc facile de juger que pour avoir un objet simple, dis-