Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/526

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une puissance, ce sera une puissance que le Tout-Puissant n’a pas, dit quelque part saint Augustin. Si les hommes tenaient d’eux-mêmes la puissance d’aimer le bien, on pourrait dire qu’ils auraient quelque puissance ; mais les hommes ne peuvent aimer que parce que Dieu veut qu’íls aiment et que sa volonté est efficace. Les hommes ne peuvent aimer que parce que Dieu les pousse sans cesse vers le bien en général, c’est-à-dire vers lui ; car Dieu ne les ayant crées que pour lui, il ne les conserve jamais sans les tourner et sans les pousser vers lui. Ce ne sont pas eux qui se meuvent vers le bien en général, c’est Dieu qui les meut. Ils suivent seulement par un choix entièrement libre cette impression selon la loi de Dieu, ou ils la déterminent vers de faux biens selon la loi de la chair ; mais ils ne peuvent la déterminer que par la vue du bien, car, ne pouvant que ce que Dieu leur fait faire, ils ne peuvent aimer que le bien.

Mais quand on supposerait, ce qui est vrai en un sens, que les esprits ont en eux-mêmes la puissance de connaître la vérité et d’aimer le bien ; si leurs pensées et leurs volontés ne produisaient rien au-dehors, on pourrait toujours dire qu’ils ne peuvent rien. Or, il me paraît très-certain que la volonté des esprits n’est pas capable de mouvoir le plus petit corps qu’il y ait au monde ; car il est évident qu’il n’y a point de liaison nécessaire entre la volonté que nous avons, par exemple, de remuer notre bras, et le mouvement de notre bras. Il est vrai qu’il se remue lorsque nous le voulons ; et qu’ainsi nous sommes la cause naturelle du mouvement de notre bras. Mais les causes naturelles ne sont point de véritables causes, ce ne sont que des causes occasionnelles qui n’agissent que par la force et l'efficace de la volonté de Dieu, comme je viens de l’expliquer.

Car comment pourrions-nous remuer notre bras ? Pour le remuer il faut avoir des esprits animaux, les envoyer par de certains nerfs vers de certains muscles pour les enfler et les raccourcir, car c’est ainsi que le bras qui y est attaché se remue, ou selon le sentiment de quelques autres on ne sait encore comment cela se fait. Et nous voyons que les hommes qui ne savent pas seulement s’ils ont des esprits, des nerfs et des muscles remuent leur bras, et le remuent même avec plus d’adresse et de facilité que ceux qui savent le mieux l’anatomie. C’est donc que les hommes veulent remuer leur bras et qu”il n’y a que Dieu qui le puisse et qui le sache remuer. Si un homme ne peut pas renverser une tour, du moins sait-il ce qu’il faut faire pour la renverser ; mais il n’y a point d’homme qui sache seulement ce qu’il faut faire pour remuer un de ses doigts par le moyen des esprits animaux. Comment donc les hommes