Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/528

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esprits qui méritent cette punition ; on ne pourrait pas dire en ce cas que Dieu leur communiquerait sa puissance, puisqu’ils ne pourraient rien faire de ce qu’ils souhaiteraient. Cependant les volontés de ces esprits seraient des causes naturelles des effets qui se produiraient. Tels corps ne seraient mus à droite que parce que ces esprits voudraient qu’ils fussent mus à gauche ; et les désirs de ces esprits détermineraient la volonté de Dieu à agir, comme nos volontés de remuer les parties de notre corps déterminent la première cause à les remuer. De sorte que toutes les volontés des esprits ne sont que des causes occasionnelles.

Que si après toutes ces raisons l’on voulait encore soutenir que la volonté d’un ange qui remuerait quelque corps serait une véritable cause, et non pas une cause occasionnelle, il est évident que ce même ange pourrait être véritable cause de la création et de l’anéantissement de toutes choses. Car Dieu lui pourrait communiquer sa puissance de créer et d’anéantir les corps, comme celle de les remuer, s’il voulait que les choses fussent créées et anéanties ; en un mot, s’il voulait que toutes choses arrivassent comme l’ange le souhaiterait, de même qu’il a voulu que les corps fussent mus comme l’ange le voudrait. Si l’on prétend donc pouvoir dire qu’un ange et qu’un homme soient véritablement moteurs à cause que Dieu remue les corps lorsqu’ils le souhaitent ; il faut dire aussi qu’un homme et qu’un ange peuvent être véritablement créateurs, puisque Dieu peut créer des êtres lorsqu’ils le voudront. Peut-être même qu’on pourrait dire que les plus vils des animaux, ou que la matière toute seule serait effectivement cause de la création de quelque substance, si l’on supposait comme les philosophes qu’à I’exigence de la matière Dieu produisit les formes substantielles. Enfin, parce que Dieu a résolu de toute éternité de créer en certains temps, certaines choses, on pourrait dire aussi que ces temps seraient causes de la création de ces êtres ; de même qu’on prétend qu’une boule qui en rencontre une autre est la véritable cause du mouvement qu’elle lui communique, à cause que Dieu a voulu par sa volonté générale qui fait l’ordre de la nature, que lorsque deux corps se rencontreraient il se fit une telle et telle communication de mouvement.

Il n’y a donc qu’un seul vrai Dieu et qu’une seule cause qui soit véritablement cause, et l’on ne doit pas s’imaginer que ce qui précède un effet en soit la véritable cause. Dieu ne peut même communiquer sa puissance aux créatures, si nous suivons les lumières de la raison, il n’en peut faire de véritables causes, il n’en peut faire des dieux. Mais quand il le pourrait, nous ne pouvons conce-