Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/553

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Je ne reprends pas ici Aristote de ce qu’il n’a pas su que Dieu a créé le monde dans le temps pour faire connaître sa puissance et la dépendance des créatures ; et qu’il ne l’anéantira jamais, afin que l’on sache aussi qu’il est immuable et qu’il ne se repent jamais de ses desseins. Mais je crois pouvoir le reprendre de ce qu’il prouve par des raisons qui n’ont aucune force que le monde est de toute éternité. S’il est quelquefois excusable dans les sentiments qu’il soutient, il n’est presque jamais excusable dans les raisons qu’il apporte lorsqu’il traite des sujets qui renferment quelque difficulté. On en est peut-être déjà persuadé par les choses que je viens de dire, quoique je n’aie pas rapporté toutes les erreurs que j’ai rencontrées dans le livre dont je les ai extraites et que j’aie tàché de le faire parler plus clairement qu’on ne le fait ordinairement.

Mais afin que l’on soit convaincu que le génie de la nature n’en découvrira jamais aux hommes ni les secrets ni les ressorts, il est à propos que je fasse voir que les principes sur lesquels ce philosophe raisonne pour expliquer les effets naturels n’ont aucune solidité.

Il est évident qu’on ne peut rien découvrir dans la physique si l’on ne commence par les corps les plus simples, c’est-à-dire par les éléments[1] ; car les éléments sont les corps dans lesquels tous les autres se résolvent, parce qu’ils sont contenus en eux ou actuellement ou en puissance : c’est ainsi qu’Aristote les définit. Mais on ne trouvera point dans les ouvrages d’Aristote, qu’il ait expliqué par une idée distincte ces corps simples dans lesquels il prétend que les autres se résolvent, et par conséquent ses éléments n’étant point clairement connus, il est impossible de découvrir la nature des corps qui en sont composés.

Ce philosophe dit bien qu’il y a quatre éléments, le feu, l’air, l’eau et la terre, mais il n’en fait point clairement connaître la nature ; il n’en donne point d’idée distincte ; il ne veut pas même que ses éléments soient le feu, l’air, l’eau et la terre que nous voyons ; car enfin si cela était, nous en aurions du moins quelque connaissance par nos sens. Il est vrai qu’en plusieurs endroits de ses ouvrages il tâche de les expliquer par les qualités de chaleur et de froideur, d’humidité et de sécheresse, de pesanteur et de légèreté. Mais cette manière de les expliquer est si impertinente et si ridicule qu’on ne peut concevoir comment tant de savants s’eu sont contentés. C’est ce que je vais faire voir.

Aristote prétend, dans son livre Du ciel, que la terre est au centre du monde, et que tous les corps qu’il lui plait d’appeler

  1. Je parle selon le sentiment des péripatéticiens, ch. 3, liv. 3, De coelo.