Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/56

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recours à des qualités occultes ou à des facultés imaginaires, pour expliquer tous les effets dont ces parties imperceptibles sont la cause naturelle.

Ils aiment mieux recourir à l’horreur du vide, pour expliquer l’élévation de l’eau dans les pompes, qu’à la pesanteur de l’air ; à des qualités de la lune, pour le flux et reflux de la mer, qu’au pressement de l’air qui environne la terre ; à des facultés attractives dans le soleil pour l’élévation des vapeurs, qu’au simple mouvement d’impulsion causé par les parties de la matière subtile qu’il répand sans cesse.

Ils regardent comme impertinente la pensée de ceux qui n’ont recours qu’à du sang et à de la chair pour rendre raison de tous les mouvements des animaux, des habitudes même, et de la mémoire corporelle des hommes. Et cela vient en partie de ce qu’ils conçoivent le cerveau fort petit, et par conséquent sans une capacité suffisante pour conserver des vestiges d’un nombre presque infini des choses qui y sont. Ils aiment mieux admettre sans le concevoir, une âme dans les bêtes qui ne soit ni corps ni esprit ; des qualités et des espèces intentionnelles pour les habitudes et pour la mémoire des hommes ; ou de semblables choses, desquelles on ne trouve point de notion particulière dans son esprit.

On serait trop long si on s’arrêtait à faire le dénombrement des erreurs auxquelles ce préjugé nous porte ; il y en a très-peu dans la physique, auxquelles il n’ait donné quelque’occasion ; et si on veut faire une forte réflexion, on en sera peut-être étonné.

Mais, quoiqu’on ne veuille pas trop s’arrêter à ces choses, on a pourtant de la peine à se taire sur le mépris que les hommes font ordinairement des insectes, et des autres petits animaux qui naissent d’une matière qu’ils appellent corrompue. C’est un mépris injuste qui n’est fondé que sur l’ignorance de la chose qu’on méprise, et sur le préjugé dont je viens de parler. Il n’y a rien de méprisable dans la nature, et tous les ouvrages de Dieu sont dignes qu’on les respecte et qu’on les admire, principalement si l’on prend garde à la simplicité des voies par lesquelles Dieu les fait et les conserve. Les plus petits moucherons sont aussi parfaits que les animaux les plus énormes, les proportions de leurs membres sont aussi justes que celles des autres ; et il semble même que Dieu ait voulu leur donner plus d’ornements pour récompenser la petitesse de leur corps. Ils ont des couronnes, des aigrettes, et d’autres ajustements sur leur tête, qui effacent tout ce que le luxe des hommes peut inventer ; et je puis dire hardiment que tous ceux qui ne se sont jamais servis que de leurs yeux, n’ont jamais rien vu de si beau, de si