Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/577

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sorte qu’il ne puisse sortir du lieu où on l’aura mis jusqu’à ce qu’il ôte son petit doigt de son oreille. Cela paraît impossible d’abord, et cela l’est en effet, car on peut fort bien marcher quoique l’on ait le petit doigt dans l’oreille. Aussi y manque-t-il encore une condition, qui ôterait toute la difficulté si elle était exprimée. Cette condition est que l’on doit faire embrasser quelque colonne de lit ou quelque chose de semblable à celui qui met son petit doigt dans son oreille, en sorte que cette colonne soit enfermée entre son bras et son oreille, car il ne pourra sortir de sa place sans se débarrasser, et tirer son doigt de son oreille. L’on n’ajoute point pour une condition de la question, qu’il y a encore quel qu’autre chose si faire, afin que l’esprit ne s’arrète point à le chercher, et qu’on ne puisse ainsi le découvrir. Mais ceux qui entreprennent de résoudre ces sortes de questions doivent faire toutes les demandes nécessaires pour s’éclaircir du point où consiste la difficulté.

Ces questions arbitraires semblent être badines, et elles le sont en effet en un sens, car on n’apprend rien lorsqu’on les résout. Cependant elles ne sont pas si différentes des questions naturelles qu’on pourrait peut-être se l’imaginer. Il faut faire à peu près des mêmes choses pour résoudre les unes et les autres. Car si l’adresse ou la malice des hommes rend les questions arbitraires embarrassantes et difficiles à résoudre, les effets naturels sont aussi par leur nature environnés d’obscurités et de ténèbres. Et il faut dissiper ces ténèbres par l’attention de l’esprit et par des expériences qui sont des espèces de demandes que l’on fait à l’auœur de la nature, de même qu’on ôte les équivoques et les circonstances inutiles des questions arbitraires par l’attention de l’esprit et par les demandes adroites que l’on fait à ceux qui nous les proposent. Expliquons ces choses par ordre et d’une manière plus sérieuse et plus instructive.

Il y a un très-grand nombre de questions qui semblent très-difficiles parce qu’on ne les entend pas, et qui devraient plutôt passer pour des axiomes qui auraient pourtant besoin de quelque explication que pour de véritables questions : car il me semble qu’on ne doit pas mettre au nombre des questions certaines propositions qui sont incontestables, lorsqu’on en conçoit distinctement les termes.

On demande, par exemple, comme une question difficile à résoudre, si l’âme est immortelle, parce que ceux qui font cette question ou qui prétendent la résoudre n’en conçoivent pas distinctement les termes. Comme les mots d’áme et d’immortel signifient différentes choses et qu’ils ne savent comment ils l’entendent,