Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/63

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boule dans un grand mouvement, il se prend dans la seconde. En un mot, ce terme mouvement signifie la cause et l’effet tout ensemble, qui sont cependant deux choses toutes différentes.

On est, ce me semble, dans des erreurs très-grossières et même très-dangereuses touchant la force qui donne le mouvement et qui transporte les corps. Ces beaux termes de nature et de qualités impresses ne semblent être propres qu’a mettre à couvert l’ignorance des faux savants et l’impiété des libertins, comme il serait facile de le prouver. Mais ce n’est pas ici le lieu de parler de cette force qui meut les corps ; elle n’est rien de visible, et je ne parle ici que des erreurs de nos yeux. Je remets à le faire quand il sera temps[1].

Le mouvement pris dans le second sens, et pour ce transport d’un corps qui s’éloigne d’un autre, est quelque chose de visible et le sujet de ce chapitre.

I. J’ai, ce me semble, démontré dans le sixième chapitre que notre vue ne nous faisait pas connaître la grandeur des corps en eux-mêmes, mais seulement le rapport qu’ils ont les uns avec les autres, et principalement avec le nôtre. D’où je conclus que nous ne pouvons aussi connaître la grandeur véritable ou absolue de leurs mouvements, c’est-à-dire de leur vitesse et de leur lenteur, mais seulement le rapport que ces mouvements ont les uns avec les autres, et principalement avec celui qui arrive ordinairement à notre corps ; ce que je prouve ainsi :

Il est constant que nous ne saurions juger de la grandeur du mouvement d’un corps que par la longeur de l’espace que ce même corps a parcouru. Ainsi puisque nos yeux ne nous font pas voir la véritable longueur de l’espace parcouru, il s’ensuit qu’ils ne peuvent pas nous faire connaître la véritable grandeur du mouvement.

Cette preuve n’est qu’une suite de ce que j’ai dit de l’étendue, et elle n’a sa force que parce qu’elle est une suite nécessaire de ce que j’en ai démontré. En voici une qui ne suppose rien. Je dis donc que quand même nous pourrions connaître clairement la véritable grandeur de l’espace parcouru, il ne s’ensuivrait pas que nous pussions de même connaître celle du mouvement.

II. La grandeur ou la vitesse du mouvement renferme deux choses : la première est le transport d’un corps d’un lieu à un autre, comme de Paris à Saint-Germain ; la seconde est le temps qu’il a fallu pour faire ce transport. Or, il ne suffit pas de savoir exactement combien il y a d’espace entre Paris et Saint-Germain

  1. Voy. le chap. 3 de la deuxième partie du sixième livre.