Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/72

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nous les croyons ; et les corps que nous voyons entre nous et les objets aident beaucoup notre imagination à juger de leur éloignement, de même que nous jugeons de la grandeur de notre durée ou du temps qui s’est passé depuis que nous avons fait quelque action par le souvenir confus des choses que nous avons faites ou des pensées que nous avons eues successivement depuis cette action. Car ce sont toutes ces pensées et toutes ces actions qui se sont succédé les unes aux autres qui aident notre esprit à juger de la longueur de quelque temps ou de quelque partie de notre durée ; ou plutôt le souvenir confus de toutes ces pensées successives est la même chose que le jugement de notre durée, comme la vue confuse des terres qui sont entre nous et un clocher est la même chose que le jugement naturel de l’éloignement du clocher, car ces jugements ne sont que des sensations composées[1].

De là il est facile de reconnaître la véritable raison pourquoi la lune nous paraît plus grande lorsqu’elle se lève que lorsqu’elle est fort haute sur l’horizon ; car lorsqu’elle se lève elle nous paraît éloignée de plusieurs lieues et même au delà de l’horizon sensible ou des terres qui terminent notre vue, au lieu que nous ne la jugeons qu’environ à une demi-lieue de nous ou sept ou huit fois plus élevée que nos maisons lorsqu’elle est montée sur notre horizon. Ainsi nous la jugeons beaucoup plus grande quand elle est proche de l’horizon que lorsqu’elle en est fort éloignée, parce que nous la jugeons beaucoup plus éloignée de nous lorsqu’elle se leve que lois qu’elle est fort haute sur notre horizon.

Il est vrai qu’un très-grand nombre de philosophes attribuent ce que nous venons de dire aux vapeurs qui s’élèvent de la terre. Ils prétendent que les vapeurs rompant les rayons des objets, elles les tout paraître plus grands. Mais il est certain qu’ils se trompent, car les réfractions n’augmentent que leur élévation sur l’horizon et elles diminuent au contraire quelque peu l’angle visuel sous lequel ils sont vus. Elles n’empêchent pas que l’image qui se trace au fond de nos yeux, lorsque que nous voyons la lune qui se lève, ne soit plus petite que celle qui s’y forme lorsqu’il y a long-temps qu’elle est levée.

Les astronomes qui mesurent le diametre des planètes remarquent que celui de la lune s’agrandit à proportion qu’elle s’éloigne de l’horizon, et par conséquent à proportion qu’elle nous paraît plus petite ; ainsi le diametre de l’image que nous en avons dans le fond de nos yeux est plus petit lorsque nous la voyons plus grande. En effet lorsque la lune se lève, elle est plus éloignée de nous du diamètre de la terre que lorsqu’elle est perpendiculairement sur notre

  1. Voy. les Eclairc. sur ce ch. dans la Rép. à M. Régis.