Page:Malebranche - Tome III - De la recherche de la vérité, 1964.djvu/38

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que cette erreur détruit de fond en comble toutes sortes de religions et de morales, la justice de Dieu et celle des hommes ; preuve incontestable que nous sommes libres.

Comme nous ne connaissons point notre âme par une idée claire, ainsi que je l’ai expliqué ailleurs (Eclaircissement XI, et De la recherche de la vérité, Livre III, 2ème partie, ch. VII), c’est en vain que nous faisons effort pour découvrir ce qui est en nous qui termine l’action que Dieu nous imprime, ou ce qui est en nous qui se laisse vaincre par un mouvement qui n’est pas invincible, et que l’on peut changer par sa volonté, ou son impression vers tout ce qui est bien, ou par son union avec celui qui renferme les idées de tous les êtres. Car enfin nous n’avons point d’idée claire d’aucune modification de notre âme. Il n’y a que le sentiment intérieur qui nous apprenne que nous sommes, et ce que nous sommes. C’est donc ce sentiment qu’il faut consulter pour nous convaincre que nous sommes libres. Il nous répond assez clairement sur cela, lorsque nous nous proposons quelque bien particulier, car il n’y a point d’homme qui puisse douter qu’il n’est point porté invinciblement à manger d’un fruit, ou à éviter une douleur fort légère. Mais, si au lieu découter notre sentiment intérieur, nous faisons attention à des raisons abstraites, et qui nous détourne de penser à nous, pêut-être que, nous perdant nous-mêmes de vue, nous oublierions ce que nous sommes, et que, voulant accorder la science de Dieu et le pouvoir absolu qu’il a sur nos volontés, nous douterons que nous soyions libres, et nous tomberons dans une erreur qui renverse tous les principes de la religion et de la morale.

L’objection la plus ordinaire, et la plus forte en apparence que l’on fasse contre la liberté, est celle-ci. La conservation n’est, dit-on, de la part de Dieu qu’une création continuée ; ce n’est en Dieu que la même volonté toujours efficace. Ainsi, quand nous parlons ou marchons, quand nous pensons et voulons, Dieu nous fait tels que nous sommes, il nous crée parlants, marchants, pensants, et voulants.