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STANCES.


Non, non ; elle a bien fait de m’estre favorable,
Voyant mon feu si grand et ma foy si durable ;
Et j’ay bien fait aussi d’asservir ma raison
En si belle prison.

C’est peu d’experience à conduire sa vie,
De mesurer son aise au compas de l’envie,
Et perdre ce que l’âge a de fleur et de fruit
Pour éviter un bruit.

De moy, que tout le monde à me nuire s’appreste,
Le Ciel à tous ses traits face un but de ma teste :
Je me suis résolu d’attendre le trépas,
Et ne la quitter pas.

Plus j’y voy de hazard, plus j’y trouve d’amorce :
Où le danger est grand, c’est là que je m’efforce ;
En un sujet aisé moins de peine apportant,
Je ne brusle pas tant.

Un courage élevé toute peine surmonte :
Les timides conseils n’ont rien que de la honte,
Et le front d’un guerrier aux combas étonné
Jamais n’est couronné.

Soit la fin de mes jours contrainte ou naturelle,
S’il plaist à mes destins que je meure pour elle,
Amour en soit loué ! je ne veux un tombeau
Plus heureux ny plus beau.