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LES LARMES DE SAINCT PIERRE.

Vous auriez tant de bien en si peu de malheurs
Que vous ne voudriez pas pour l’empire du monde
N’avoir eu dans le sein la racine seconde
D’où nasquit entre nous ce miracle de fleurs.

« Mais moy, puisque les loix me défendent l’outrage
Qu’entre tant de langueurs me commande la rage,
Et qu’il ne faut soy-mesme éteindre son flambeau,
Que m’est-il demeuré pour conseil et pour armes,
Que d’écouler ma vie en un fleuve de larmes,
Et, la chassant de moy, l’envoyer au tombeau ?

« Je scay bien que, ma langue ayant commis l’offense,
Mon coeur incontinent en a fait pénitence.
Mais quoy ! si peu de cas ne me rend satisfait.
Mon regret est si grand, et ma faute si grande,
Qu’une mer eternelle à mes yeux je demande
Pour pleurer à jamais le péché que j’ay fait. »

Pendant que le chétif en ce point se lamente,
S’arrache les cheveux, se bat et se tourmente,
En tant d’extrémitez cruellement reduit,
Il chemine tousjours ; mais, resvant à sa peine,
Sans donner à ses pas une reigle certaine,
Il erre vagabond où le pied le conduit.

À la fin, égaré (car la nuit, qui le trouble,
Par les eaux de ses pleurs son ombrage redouble,