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Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1471

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de dater plus précisément : [juin 1865]. On y relève cette phrase : « J’ai laissé Hérodiade pour les cruels hivers : cette œuvre solitaire m’avait stérilisé et, dans l’intervalle, je rime un intermède héroïque, dont le héros est un Faune. Ce poème renferme une très haute et belle idée, mais les vers sont terriblement difficiles à faire, car je le fais absolument scénique, non possible au théâtre, mais exigeant le théâtre. Et cependant je veux conserver toute la poésie de mes œuvres lyriques, mon vers meme, que j’adapte au drame. Quand tu viendras, je crois que tu seras heureux : l’idée de la dernière scène me fait sangloter, la conception en est vaste, et le vers très travaillé... J’ajoute que je compte le présenter en août au Théâtre Français. » Et Cazalis de lui répondre, presque aussitôt, étonné et ravi : « La bonne lettre ! Comment ! un acte sur le métier et qui sera fini au mois d’août ! » Il y avait, en effet, de quoi être surpris de tant de hâte de la part d’un homme d’ordinaire si peu précipité. A Cazalis encore, il fait part de ses difficultés et de ses scrupules : « Tu ne saurais croire comme il est difficile de s’acharner au vers que je veux très neuf et très beau, bien que dramatique (surtout plus rythmé, encore que le vers lyrique parce qu’il doit ravir l’oreille au théâtre) »; et il ajoute : « Mais si tu savais que de nuits désespérées et de jours de rêverie il faut sacrifier pour arriver à faire des vers originaux (ce que je n’avais jamais fait jusqu’ici) et dignes, dans leurs suprêmes mystères, de réjouir l’âme d’un poëte. » En juillet, il décide de rester à Tournon jusqu’au 25 août pour y travailler. « Pourvu, dit-il, que j’aie terminé dignement l’histoire de mon Faune. » Quelque temps auparavant, dans une autre lettre au même ami, il disait : « le Faune qui me tient par les cheveux et ne me laisse plus une minute. » Ce poëme s’appela d’abord Improvisation d’un Faune, puis .Monologue d’un Faune. Ce titre a donné lieu à une confusion qui vaut d’être éclaircie. Si Mallarmé sc hâtait d’achever son Faune, c’est qu’on lui avait donné à entendre que quelqu’un en appuierait la présentation au Théâtre Français. Ce quelqu’un c’était Théodore de Banville, qu’avaient frappé et séduit les vers et les poëmes en prose que Mallarmé lui avait adressés et qui avait été très touché de l’hommage que celui-ci lui avait rendu, avec beaucoup de délicatesse et d’art, dans la Symphonie littéraire qui avait paru peu auparavant, dans /’Artiste. C’était l’époque où l’acte en vers floris-sait. Banville avait fait représenter sa Diane au bois, en deux actes, et un acte les Fourberies de Nérine l’année précédente : l’on jouait de lui la Pomme, cette année-là. Or le Faune de Mallarmé n’est pas sans quelques points de contact avec Diane au bois et avec la Pomme : c’était en quelque sorte, une nouvelle forme d’hommage. Banville, dit-on, recommanda Mallarmé à Constant Coque-lin et c’est par celui-ci que le Faune devait être introduit au Théâtre