Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/264

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LE FLAMBEAU VIVANT Ils marchent devant moi, ces Yeux pleins de lumières, Qu'un Ange très savant a sans doute aimantés ; Ils marchent, ces divins frères qui sont mes frères, Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés. Me sauvant de tout piège et de tout péché grave, Ils conduisent mes pas dans la route du Beau ; Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave ; Tout mon être obéit à ce vivant flambeau. Charmants Yeux, vous brille^ de la clarté mystique Qu'ont les cierges brûlant en plein jour ; le soleil Rougit, mais n'éteint pas leur flamme fantastique ; Ils célèbrent la Mort, vous chante^ le Réveil : Vous marche^ en chantant le réveil de mon âme, Astres dont nul soleil ne peut ternir la flamme ! — Ce n’est point un mystère que l’IIélène qui suscita l’encens divin du chant d’amour laissé par Poe est l’une des plus brillantes poétesses d’Amérique, Mrs Sarah Helen Whitman, morte depuis peu et avec qui le poète songea à se remarier en 1848. La première fois qu’il la vit, solitaire et errant de nuit dans une des rues de Providence (Rhode Island), avant de rentrer à son hôtel, ce fut à travers la grille d’un beau jardin : il resta longtemps à respirer la beauté de la dame et de l’heure. Cette très noble femme, auteur des Heures de vie et autrespo'èmes, des Ballades féeriques, était veuve; et particularité charmante, son nom virginal de Lepower ou Lepoer la faisait dès avant appartenir à la vieille lignée, normande jadis, puis anglaise, qui donna ses ancêtres au poëte. Sa main se plut à l’indiquer au crayon en marge de l’exemplaire qu’elle m’a offert d’un livre, Poe et ses Critiques, cent pages indignées, splendides, cri de grande âme et d’esprit fier défendant une mémoire sacrée contre tous les mensonges qui longtemps l’accablèrent de leur nombre triomphal. Mrs Whitman a surtout protesté, dans la presse, ses