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Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/283

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SYMPHONIE LITTÉRAIRE Théophile Gautier. — Charles Baudelaire. Théodore de Banville. I Muse moderne de l’impuissance, qui m’interdis depuis longtemps le trésor familier des Rhythmes, et me condamnes (aimable supplice) à ne faire plus que relire, — jusqu’au jour où tu m’auras enveloppé dans ton irrémédiable filet, l’ennui, et tout sera fini alors, — les maîtres inaccessibles dont la beauté me désespère; mon ennemie, et cependant mon enchanteresse aux breuvages perfides et aux mélancoliques ivresses, je te dédie, comme une raillerie ou, — le sais-je ? — comme un gage d’amour, ces quelques lignes de ma vie écrites dans les heures clémentes où tu ne m’inspiras pas la haine de la création et le stérile amour du néant. Tu y découvriras les jouissances d’une âme purement passive qui n’est que femme encore, et qui demain peut-être sera bête. C’est une de ces matinées exceptionnelles où mon esprit, miraculeusement lavé des pâles crépuscules de la vie quotidienne, s’éveille dans le Paradis, trop imprégné d’immortalité pour chercher une jouissance, mais regardant autour de soi avec une candeur qui semble n’avoir jamais connu l’exil. Tout ce qui m’environne a désiré revêtir ma pureté; le ciel lui-même ne me contredit pas, et son azur, sans un nuage depuis longtemps, a encore perdu l’ironie de sa beauté, qui s’étend au loin adorablement bleue. Heure précise, et dont je dois prolonger l’état de grâce avec d’autant moins de négligence que je sombre chaque jour en un plus cruel ennui. Dans ce but, âme trop puissamment liée à la Bêtise terrestre, pour me maintenir par une rêverie personnelle à la hauteur d’un charme que je payerais volontiers de toutes les années de ma vie, j’ai recours à l’Art, et je lis