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CONTES INDIENS

LE PORTRAIT ENCHANTÉ

Tant que le jeune homme but, la pieuse femme le considéra attentivement. Ses membres, épuisés de fatigue, montraient une robustesse prête à renaître, sitôt le voyageur levé. « Ah ! bonne mère, avait-il imploré, un peu d’eau par pitié ! » puis il s’était assis, ou plutôt laissé tomber, sous la vérandah d’un petit temple, aux portes poudreuses de la ville. Comme il en semblait le dieu, la vieille anachorète, par lui regardée fixement, exhala, avec dévotion : « Noble étranger, vous vous étonnez de voir une créature aussi misérable que moi; et si ce sont les chagrins ou les austérités qui l’ont réduite à cet état. » Une ombre, un fantôme de femme, telle : les vêtements religieux flottaient autour de son corps ainsi que s’abat la voile sur un mât, quand cesse la brise : ses cheveux, des cordes blanchies sous la rosée, rudes, grisonnants, hors du bandeau de mousseline noire des veuves. Deux lèvres pâles se desséchaient au feu des soupirs : deux gouttes de sang indiquaient, en ses yeux, que les larmes y avaient tari. « Je vivais (la suite) à la cour de celui qui fut jadis le roi de Mithîla, nourrice de son fils Oupahara, l’enfant le plus beau que porta une mortelle. « Vous connaissez le dicton : Les mouches cherchent les ulcères, les méchants cherchent les querelles, les rois cherchent la guerre. Tout souriait heureux quand le roi du Malava s’avisa de déclarer la guerre : jamais une n’eut de résultats aussi funestes. L’armée en déroute : pillés, les trésors de l’État; traînés, les fers aux pieds, mes augustes maîtres et jetés dans une prison où ils languissent encore : moi, fuyant éperdue, à travers les forêts, le royal nourrisson à mon sein, parmi les tigres. Une panthère, jaillie de la jungle, me barre le chemin, je m’évanouis sous sa griffe ; l’enfant roule. Où ?... Déses-