Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/625

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visite quotidienne dépouille peu à peu des belles fleurs la pièce d’eau, le roi y tenait fort, on ne tarde pas à connaître le larcin : ce fut un événement ébruité jusqu’au conseil des ministres. Les politiques se creusaient l’esprit quant au moyen de savoir le voleur. Le second fils du rajah, vaillant jeune homme, déclara qu’il se chargeait seul de tirer l’aventure au clair. Il grimperait dans un arbre et, par la verdure abrité, guetterait l’amateur de calices. La nuit même, ce projet reçut exécution : le ciel resplendissait d’astres, du vent à peiwe ridait le lac, agitant, sans détacher un pétale, les lotus du roi. Au point du jour, parut la vieille, par le prince, dans les rues d’Hastinapoura, remarquée, comme un prodige de laideur. « Parbleu ! voilà qui est plaisant, où la coquetterie va-t-elle sc nicher ? quel besoin a de fleurs ce museau de singe... Vous allez avoir affaire à moi, madame la voleuse. » Stupeur ! le masque jaune et plissé venait de choir, pour découvrir le plus suave enfantin visage, qui jamais éclaira : un éblouissement émut le prince. Qui ? une habitante de la terre ou des cieux. Si radieuse apparition encore n’avait hante même son idée. L’innocente se croyait seule et tranquillement livrait tout son corps à la curiosité du jeune indiscret. Elle est sortie du bain, assise sur une marche basse de l’escalier de l’étang, pendant que s’évapore chaque goutte, diamants sur elle épars: ce suprême voile flotte aux contours, hésite et disparaît comme un nuage idéal, la laissant plus que nue. Tantôt elle relève les bras en se détirant comme pour faire saillir la rondeur de son sein, tantôt s’amuse au clapotis de l’onde sous ses petits pieds blancs, on dirait que dans leur délice sc noiraient une paire de colombes. Puis lentement natte sa chevelure aussi noire que l’abeille de l’Inde. Au bassin maintenant ne s’épanouissent guère de fleurs, d’une main mutine elle attrape une des dernières à sa portée et, dans le naïf miroir, elle sourit et s’admire. Le fils du rajah ne perd rien de ces gracieux badinages : frémissant, il écarte, pour mieux voir, un rameau de figuier qui le cache... Ah ! la voleuse peut cueillir impunément tous les lotus qu’elle voudra : il ne songe pas à la punir. Subitement cst-cc le kohila qui lança son chant matinal ou un cri poussé par Flcur-de-Lotus, le soleil éclate; jamais la charmante ne s’est autant attardée : en une minute elle rajuste le masque et s’enfuit.