Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/686

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moment, pourtant, désespérant du despotique bouquin lâché de moi-même, j’ai après quelques articles colportés d’ici et de là, tenté de rédiger tout seul, toilettes, bijou, mobilier, et jusqu’aux théâtres et aux menus de dîner, un journal la Dernière Mode, dont les huit ou dix numéros parus servent encore quanti je les dévêts de leur poussière à me faire longtemps rêver. Au fond je considère l’époque contemporaine comme un interrègne pour le poète qui n’a point à s’y mêler : elle est trop en désuétude et en effervescence préparatoire pour qu’il ait autre chose à faire qu’à travailler avec mystère en vue de plus tard ou de jamais et de temps en temps à envoyer aux vivants sa carte de visite, stances ou sonnet, pour n’être point lapidé d’eux, s’ils le soupçonnaient de savoir qu’ils n’ont pas lieu. La solitude accompagne nécessairement cette espèce d’attitude : et à part mon chemin de la maison (c’est 89, maintenant, rue de Rome) aux divers endroits où j’ai dû la dîme de mes minutes, lycées Condorcet, Janson de Sailly, enfin Collège Rollin, je vaque peu, préférant à tout, dans un appartement défendu par la famille, le séjour parmi quelques meubles anciens et chers, et la feuille de papier souvent blanche. Mes grandes amitiés ont été celles de Villiers, de Mendès, et j’ai, dix ans, vu tous les jours, mon cher Manet, dont l’absence aujourd’hui me paraît invraisemblable ! Vos Poëtes Maudits, cher Verlaine, M Rebours d’Huÿsmans, ont intéressé à mes Mardis longtemps vacants, les jeunes poëtes qui nous aiment (mallarmistes à part) et on a cru à quelqu’in-fluence tentée par moi, là où il n’y a eu que des rencontres. Très affiné, j’ai été dix ans d’avance du côté où de jeunes esprits pareils devaient tourner aujourd’hui. Voilà toute ma vie dénuée d’anecdotes, à l’envers de ce qu’ont depuis si longtemps ressassé les grands journaux où j’ai toujours passé pour très étrange : je scrute et ne vois rien d’autre, les ennuis quotidiens, les joies, les deuiis d’intérieur exceptés. Quelques apparitions partout où l’on monte un ballet, où l’on joue de l’orgue, mes deux passions d’art presque contradictoires, mais dont le sens éclatera, et c’est tout. J’oubliais mes fugues, aussitôt que pris de trop de fatigue d’esprit, sur le bord de la Seine et de la forêt de Fontainebleau, en un lieu le même depuis des années : là je m’apparais tout different, épris de la